Art contemporain

Privé ou public ?

d'Lëtzebuerger Land du 17.05.2019

Ancienne synagogue de style oriental construite à la fin du XIXe siècle, fermée au culte en 1981, la synagogue de Delme a été transformée en lieu d’exposition en 1992. Fichée entre Metz et Nancy, l’espace, niché en pleine campagne lorraine, vaut bien des détours. Centre d’art contemporain depuis 2002, il accueille de grands noms de l’art contemporain : François Morellet, Jean-Marc Bustamante, Daniel Buren, Tadashi Kawamata entre autres. Ces dernières années ont donné carte blanche à de jeunes artistes prometteurs. C’est ainsi que l’Anglaise Emily Jones investit avec la proposition As a bird would a snake la monumentalité de l’ancienne synagogue.

Kiosque à théâtre D’entrée, dès le rez-de-chaussée, un immense kiosque semble vouloir épouser toute la superficie de l’ancien lieu de culte. Purity is not an option, le nom de la pièce, convoque notre rapport à l’espace naturel, à la sphère publique et privée et subvertit des représentations jusque-là codifiées. Bien que le lieu ait été, depuis, désacralisé, il conserve une forme d’aura dans laquelle l’artiste choisit, volontairement, de s’inscrire. Ce kiosque est le lieu public par excellence. Son toit transparent y fait apparaître pêle-mêle des feuilles mortes le jonchant. Une immense scène en bois que le spectateur peut investir comme en représentation fait écho aux diverses traces disséminées sur la scène. Des voix, d’omniprésentes voix, jalonnent son parcours. Le spectateur se tourne et se retourne. Il se demande d’où elles proviennent. Est-ce qu’une vidéo aurait été oubliée, laissée un peu de côté et que le regardeur cependant entende ? Ces voix sont une des très belles découvertes du travail d’Emily Jones. Elles entrent en résonance avec le figement de la parole qui consacre comme rite. Elles interrogent aussi la transmission orale d’une parole sacrée. « C’est le corps qui est à l’intérieur de l’homme […] », « incertitude sur le sens de l’existence […] », « des pensées obsédantes […] » peut-on y distinguer. La pièce de théâtre écrite par l’artiste, Sorso, a été jouée le soir du vernissage par le Théâtre amateur de Delme sur ce même kiosque. Enregistrée, la pièce donne ces voix entêtantes. Elle peut aussi se lire, multipliant les accès à une œuvre complète, pleine des autres sons qui s’y conjuguent. Le kiosque a été découvert par Emily Jones à Chicago qui a souhaité se l’approprier tout en le décentrant, résolument, tirant parti de sa forte charge symbolique.

Il n’y a pas de début et pas de fin De la même façon, les œuvres de la suite de l’exposition ne sont pas figées non plus. L’artiste souhaite cette continuité avec la vie : elles n’ont pas début et pas de fin. Le regardeur s’en empare et les traverse. À l’image de The world is full of animals that need to hide, trois bancs minéraux et végétaux, aux motifs volontiers naïfs, sur lesquels on peut s’asseoir, discuter, faire une pause, détaché d’un temps pressant omniprésent. Offerts au visiteur par l’artiste, ils sont conçus comme temps d’arrêt dans le flux continuel des événements de l’espace public. Ces bancs placés à l’étage de la synagogue auquel on accède par l’escalier des femmes (les femmes et les hommes ne devant pas se croiser selon la tradition juive) réfléchissent aussi l’interrogation essentielle d’Emily Jones autour de la nature et de l’eau salée envisagée comme nouveau remède homéopathique. Ce questionnement informe aussi l’ensemble de la pièce Sorso, mettant en scène trois personnages, une narratrice Ghiacciao (glace) et Lingua (langue) circulant d’un point à un autre de la synagogue, intégrant le public mais aussi des objets et fluides. La cuisine équipée, Life tethered life, imaginée par Emily Jones est inattendue dans l’exposition et paraît court-circuiter cette réflexion. Elle est paradoxalement là pour nous rappeler à l’espace privé, sans quoi l’espace public ne pourrait être réfléchi.

Plus tard dans l’après-midi, la visite-duo « Eau salée, Eau de vie » en partenariat avec le Conservatoire d’Espaces Naturels de Lorraine faisait écho à ce work in process.

L’exposition As a bird would a snake d’Emily Jones au Centre d’art contemporain – la Synagogue de Delme, dure encore jusqu’au 26 mai ;
www.cac-synagoguedelme.org/

Florence Lhote
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