Vingt mois après : portrait de la secrétaire d’État Francine Closener

Looking for Closener

d'Lëtzebuerger Land vom 14.08.2015

Ce mardi matin, Francine Closener, suivie de trois fonctionnaires, se promenait autour d’un étang à Beckerich sur lequel nageaient quelques canards. « C’est idyllique, ici », lance-t-elle. La secrétaire d’Éat était arrivée à neuf heures du matin, assise à côté de son chauffeur, un policier impassible, mâchant du chewing-gum. Lorsque la secrétaire d’État passe de la salle polyvalente au restaurant du moulin, la femme de ménage débranche l’aspirateur. Les rencontres s’enchaînent et les sujets passent de la Wäinzoossiss (sur le menu) à la disparition des abeilles, en passant par les crevettes d’eau douce dans l’étang. Francine Closener est polie et distante, la conversation hésitante, entrecoupée de silences. Le soleil commence à taper et la « traditionnelle randonnée touristique annuelle » de la secrétaire d’État s’annonce longue : visite de la Beckericher Millen, ballade dans le Parc de la Ville, conférence de presse dans le Grund, puis, dans l’après-midi, un tour au Parc Merveilleux de Bettembourg. Courageuse résilience ou pathétique déni de réalité, Francine Closener tente de montrer que, politiquement, elle n’est pas morte. Or, même en plein creux d’été, les médias resteront loin du grand tour de la secrétaire d’État. Ils ne se pointent que pour le point presse-déjeuner. L’opération-charme finit en excursion de famille.

Du temps où elle était journaliste chez RTL, Closener aimait prodiguer des conseils en communication aux politiciens. Passée de l’autre côté, elle se retrouva vite dépassée. Durant la campagne, elle avait répété que son « dada » était la politique familiale et l’éducation. Elle y aurait accumulé des expériences en tant que parent et lors de « nombreux reportages ». Nommée dans le groupe de travail éducation lors des négociations de coalition, elle resta coite, écrasée par la technicité des dossiers et par l’autorité des camarades Delvaux et Fayot senior. « Ce n’était pas évident, concède-t-elle. J’y étais plutôt en tant qu’observatrice. »

Elle affiche une nouvelle humilité. « J’ai longtemps été trop selbstgerecht… Lorsque je regarde comment j’ai jugé sans connaître toutes les facettes des dossiers, je me dis que j’ai souvent tiré trop vite. J’avais une vue trop simpliste. » Ni joviale ni intellectuelle, ni populiste ni populaire, ni apparatchik ni charismatique, ni technocrate ni animal politique ; Francine Closener flotte dans les limbes des représentations politiques. Elle dit que, à l’inverse des animateurs de RTL-Télé Felix Eischen (CSV), Cécile Hemmen (LSAP) ou Françoise Hetto-Gaasch (CSV), qui, au fil de leurs émissions de divertissement, s’étaient façonnés des images sympathiques et approchables, diffusées tous les soirs dans les salons de la nation, les journalistes politiques auraient plus du mal à passer. Les mauvais scores électoraux de Roby Rauchs, Tom Graas, Fränk Kuffer et Joëlle Hengen semblent valider sa thèse.

Francine Closener avait connu Etienne Schneider à Bruxelles. Il suivait des cours à l’Institut catholique des hautes études commerciales, elle était étudiante en communication et journalisme à l’Université libre de Bruxelles. Au fil des sorties dans les bistrots bruxellois, ils se lient d’amitié. Au Luxembourg, la journaliste Closener retrouve le secrétaire de fraction Schneider. Ils entament une collaboration informelle. « Lorsque le LSAP était dans l’opposition, j’avais beaucoup de contacts avec le secrétaire de fraction et le chef de la fraction. Mars Di Bartolomeo m’a donné beaucoup d’inputs pour d’intéressants reportages. Tout comme Etienne Schneider, qui a livré beaucoup de matériel. La fraction était une chouette équipe. »

Le bureau de Francine Closener se situe au sommet du monstrueux monolithe Forum Royal. Au douzième étage, le ministre de l’Économie Etienne Schneider (LSAP) a rassemblé son cabinet politique, sa garde rapprochée sélectionnée selon des critères de loyauté et d’affinité. Sa secrétaire d’État a fini par s’occuper des ressorts classes moyennes et tourisme tenus trente ans durant par l’invariable Fernand Boden, puis par Françoise Hetto-Gaasch (CSV). Si l’auto-démontage du haut fonctionnaire lié au CSV Pierre Barthelmé créa le chaos, ce fut également un heureux hasard qui libéra une nouvelle marge de manœuvre pour Closener.

Vers onze heures, la caravane ministérielle arrive à l’ombre du Forum Royal. Près des deux séquoias centenaires, Closener et ses fonctionnaires sont accueillis par le Luxembourg City Tourist Office et son président, le conseiller communal Marc Angel (LSAP). La secrétaire d’État commente l’état de propreté autour de la statue d’Amalia, admire la façade de la Fondation Pescatore, jette un regard dans le Pfaffenthal et discute des avantages et inconvénients d’un téléphérique et d’un Biergarten, puis continue sa balade à travers le parc. Une demi-heure plus tard, Francine Closener tient une conférence de presse sur le bilan touristique au premier semestre 2015 dans la cour de l’Abbaye Neumünster, récitant un discours d’une dizaine de pages (double interligne). Elle balance des chiffres sur le « top cinq » des attractions principales, l’évolution des nuitées, le secteur des Mice (lire : meetings, incentives, conferencing, exhibitions) et le segment des Dinks (lire: double income no kids).

« Ech sinn jo wierklech nët sou blöd » ; il lui aura fallu 3 minutes 14 secondes pour autodétruire sa jeune carrière politique. « J’ai donné cette interview, je n’aurai pas dû le faire, dit Closener. Que puis-je dire de plus… ? » Son collègue Dan Kersch (LSAP), lui aussi parti au ski avec son véhicule de service, ne donna pas d’interview. Il n’eut pas de problème. Face à son ex-collègue Guy Kayser, qui lui avait succédé au poste de rédacteur en chef de RTL Radio après la naissance de son deuxième fils, la secrétaire d’État passa pour orgueilleuse, arrogante et selbstgerecht. Le peuple RTL pensa flairer la parvenue parachutée profitant de ses nouveaux privilèges, et se muta en lynch mob. Le vendredi soir, après la diffusion de l’interview, un shit-storm s’abattait sur la secrétaire d’État. Le site de Rtl.lu fut inondé : 1 600 commentaires dont vingt pour cent d’« impubliables ». « Pas question pour nous de retenir (ce flux) : on aurait dit que nous protégions une ancienne de RTL », expliqua le responsable de Rtl.lu Luc Marteling au Jeudi.

En entendant le crash sur RTL Radio, ceux qui la côtoyaient journaliste ne purent s’empêcher de sourire. C’était du pur Closener, à la différence près qu’elle était du mauvais côté du micro (à la place de Kayser, celle qui se réclame « de l’école de Marc Linster » ne se serait pas fait prier pour griller un ministre). Or ce qu’on aime chez le journaliste, on ne le pardonne pas au politicien. Un moment, la secrétaire d’État songea à démissionner. Schneider la convainc de rester. Aujourd’hui, mi-fataliste, mi-optimiste, elle dit : « Et mécht een einfach weider. » Interrogée sur ses plans de l’après-politique, Closener lance : « Aucune idée ! Je n’en ai pas. » La première impression laissée semble indélébile. À en juger par les sondages, les électeurs ne sont pas disposés à lui pardonner. Selon le Politbarometer, plus de soixante pour cent des sondés pensent que la secrétaire d’État devrait jouer un rôle moins important. Au moins, elle n’a pas fini dernière, mais avant-dernière, devançant de justesse Roy Reding (ADR).

Vers quinze heures, sous un soleil de plomb, la secrétaire d’État se tient devant la cage aux singes au Parc Merveilleux. La directrice du Parc explique que les trois vieux mâles défendent sans pitié leur territoire, et qu’il est dangereux d’entrer dans la cage tant qu’ils sont dehors. « Lui, c’est le chef, dit-elle en pointant un singe assis sur un tronc. Des fois il saute dans la fenêtre. Lorsque les trois jeunes mâles auront atteint la maturité sexuelle, les combats de pouvoir commenceront. »

Son but personnel pour les élections, dit-elle, aurait été très modeste : « Que vous me le croyiez ou non, mon but était de ne pas finir dernière. » Les camarades qui l’ont côtoyé durant la campagne étaient surpris par la surprise de la candidate lorsqu’elle découvre les micro-stratagèmes pour figurer en première place sur une photo. Au soir du 20 octobre, elle finit cinquième (sur une liste assez faible). « Dans la voiture, sur le chemin de retour à la maison, je chantais », dit-elle. Elle avait néanmoins pris soin de négocier un point de chute : « J’avais un bon plan b ». Plusieurs sources indiquent qu’un contrat avec Post aurait été prêt à signer : Est-ce vrai ? « Cela restera mon secret, je ne vous le dirai pas. » Pour les ex-stars de RTL, la traversée du Rubicon politique est irréversible, une fois sur une liste, ils sont « grillés ». (La même contrainte pesait sur son compagnon Jay Schiltz qui dut démissionner de son poste de rédacteur en chef à la radio 100,7 pour prévenir les conflits d’intérêts.) Francine Closener serait passée du côté politique autant par fatigue de la « routine » professionnelle que par « la colère et l’effroi » que provoquèrent en elle l’affaire Srel. Les raisons qu’elle avance sont donc à la fois opportunistes et idéalistes. « Après avoir travaillé presque vingt ans pour RTL, je me disais que si je voulais encore faire autre chose, c’était un bon moment. J’avais beaucoup vu dans le journalisme et j’étais arrivée à une certaine saturation. »

Très tôt, Etienne Schneider lui demande si elle est intéressée à entrer au gouvernement. Trois mois après les élections, Etienne Schneider racontera au Tageblatt que Cécile Hemmen (611 voix d’avance sur Closener) lui « aurait fait comprendre qu’elle préférait rester député-maire. » La concernée en garde une autre mémoire : « On ne m’a pas demandé si je voulais entrer au gouvernement, on m’a simplement informé avec les autres que Madame Closener irait dans le ministère. » (Mais, ajoute-t-elle, tout serait pour le mieux ainsi.) Dans le parti, la promotion d’une personne de confiance n’étonna personne. Jusqu’ici, l’amitié avec le provisoire homme providentiel du LSAP constituait un sauf-conduit dans les instances du parti. Au pot du nouvel an 2014, alors que sa secrétaire d’État était au centre des attaques, Etienne Schneider monta au podium et lança aux fidèles du LSAP : « Je suis très content de t’avoir, Francine ». Applaudissements ; le pardon du parti était garanti. Or Closener reste isolée et exposée. Au sein de l’appareil, elle compte peu d’alliés et ne dispose pas d’un ancrage local.

La dépendance de son protecteur politique a eu comme corollaire que, politiquement, Closener peine à se distinguer et à exister de manière autonome. En début de mandat, après ses vacances de ski, Francine Closener répétait à envi qu’il lui fallait du temps pour « assimiler », « découvrir », « comprendre » et « connaître ». La secrétaire d’État s’est peu à peu repliée sur des dossiers peu controversés ne nécessitant pas le patronage d’Etienne Schneider. En guise de fil d’Ariane et de fétiche, elle s’est ainsi approprié le nation branding. Ses longues dissertations sur le sujet mélangent emprunts pavloviens (« d’Läit sollen, wann se un Lëtzebuerg denken, spontan Biller an de Kapp kréien »), vulgate des communicants (« la marque du Luxembourg ») avec, comme sous-bassement utilitariste, un discours de défense de la place financière. À écouter Francine Closener réciter ses leçons sur le nation branding, on a l’impression qu’il s’agit pour elle d’un refuge dépolitisé, lisse et inattaquable. Deux mois après « Luxleaks », Francine Closener tenait une conférence de presse sur le nation branding et la « vulnérabilité » luxembourgeoise. L’impact aurait été moins grave pour les Helvètes, estimait-elle, car en pensant à la Suisse, on songerait également « aux montres, aux montagnes et au chocolat ». Une manière de réduire une question politique en problème de communication. Or les mots-clés retenus par le nation branding à la luxembourgeoise – « prévisibilité » et « fiabilité » ; « pragmatisme » et « grande proximité par rapport aux décideurs » ; « ouverture » et « dynamisme » – semblent issus d’une brochure des Big Four. Pas sûr que le « Luxembourg way of doing things » inspire confiance aux opinions publiques internationales. L’archétype jungien de « l’allié » – dont nationbranding.lu note qu’il est également utilisé par Volkswagen, Ikea et Linkedin – risquera d’être réinterprété en « allié du grand capital ».

Etienne Schneider a une légitimité dans le monde patronal qui précède son mandat ministériel. C’est un milieu qu’il a fréquenté comme pair (alors qu’il était président de SEO puis d’Enovos) et dans lequel il se meut avec une souveraineté et une ironie (voire un cynisme) qui font défaut à sa secrétaire d’État. Bref, à une table de CEO internationaux, Schneider fait bonne figure. Chez Closener, dès que les dossiers deviennent plus complexes ou politiques, elle chavire. Une inconsistance qui, à la longue, ne peut passer inaperçue. Toujours est-il que, parmi le petit patronat (artisans, cafetiers et hôteliers), Closener a réussi à gagner des points de sympathie, grâce à sa disponibilité (elle est assez facilement joignable sur son portable) grâce également à des concessions. Elle reprit ainsi un projet de loi très libéral sur les loyers des commerces de sa prédécesseur qui, elle, l’avait fait rédiger par le président de l’Union des propriétaires, Georges Krieger. Franz Fayot, président de la Commission de l’Économie du Parlement, écrivait mercredi soir sur Twitter que le projet de loi (une phylogénèse Hetto/Krieger/Closener) allait « être analysé à la loupe dans la Commission », puisqu’« on ne peut faire écrire un projet de loi par un lobby ». Quant à la fusion des deux Chambres patronales, annoncée sèchement par Schneider, elle fut enterrée en douce par Closener. Comme dans un mauvais polar, la secrétaire d’État et le ministre s’étaient partagés les rôles. Le « bad cop » Schneider reprochait aux fonctionnaires patronaux de s’accrocher à leurs « Posten an Pöstelcher ». La « good cop » Closener parlait de concertation et de la nécessité que les partenaires soient d’accord. La fusion est donc bien morte ? « Je dirais plutôt qu’on la fera bottom-up », répond la secrétaire d’État.

Aux réunions hebdomadaires de la fraction, la secrétaire d’État reste très discrète. Depuis sa nomination, Closener tente d’être disponible et cumule les apparitions auprès des fidèles de la base, quitte à se déplacer les soirs dans des patelins reculés. Elle applique la même stratégie de l’ubiquité au ministère. Ainsi vient-elle d’envoyer un courriel collectif à partir de son mail personnel aux opérateurs touristiques pour les inciter à participer à un sondage. On la retrouve aux remises de certificats, aux salons touristiques et aux assemblées des offices régionaux et ententes locales. De journaliste de la politique nationale, Francine Closener s’est mutée en politicienne du local. Or, malgré son application, sa courbe de popularité reste au point mort. Mardi vers midi, à la fin de la promenade dans le parc, Francine Closener évoque les ébranlements politiques des derniers mois. Déboulant sur le boulevard Marie-Thérèse, elle glisse : « Je crois sincèrement que le pire est derrière nous. »

Bernard Thomas
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