Cinémasteak

#Fuck Me

d'Lëtzebuerger Land vom 20.07.2018

Adapté du célèbre roman éponyme paru en 1993, Baise-moi (2000) est le premier long-métrage de Virginie Despentes (réalisé en collaboration avec Coralie Trinh Thi). Avec ce titre franc-tireur, le spectateur pourrait s’attendre à un simple porno – un genre auquel la réalisatrice emprunte à la fois les conventions filmiques et les acteurs, issus pour la plupart de l’industrie du sexe. Mais le film de Virginie Despentes refuse de se laisser enfermer dans le ghetto d’une sous-production culturelle. Et résiste, malgré l’interdiction aux moins de 18 ans dont il a écopé lors de sa sortie en salles controversée, à toutes les classifications génériques. La volonté de représenter sans fard des réalités souvent occultées au cinéma, comme le viol et la prostitution, établit une évidente parenté avec le cinéma provocateur de Jan Kounen (Dobermann, 1997) et de Gaspar Noé (Despentes cite dans son film un extrait de Seul contre tous, 1998).

Nadine et Manu, les protagonistes sulfureux de Baise-moi, sont deux paumées soumises à la violence impitoyable des hommes. Jusqu’au jour où elles décident de riposter en entamant une longue cavale sanglante et vengeresse. Après une danse torride scellant leur pacte diabolique, les deux femmes s’engagent sur la voie de la criminalité. Au sein de cette guerre des sexes qui ne dit pas son nom, les hommes constituent une cible de choix. En réponse aux attaques menées à l’époque contre le film, Karen Bach, l’interprète de Nadine, déclarait dans Libération : « Pourquoi les femmes se prennent des mains au cul et pas les hommes ? Tout ce qu’on leur demande, c’est la compréhension, l’égalité. Le porno, c’est des mecs qui jouissent sur la gueule des filles, la femme qui en prend plein la tronche. Baise-moi, c’est le contraire. » Les rapports de force vont alors s’inverser en faveur de nos jeunes héroïnes, symboles d’un féminisme revanchard dont les rôles ont été confiés à deux repenties du porno (Raffaëla Anderson et Karen Bach, plus connue sous le pseudo de Karen Lancaume).

Le film, en dépit ou en raison de la pauvreté de ses moyens techniques, s’avère plus subtile qu’il ne paraît. Le style qui a fait la réputation de la romancière a été conservé : un réalisme cru, servi par des répliques bien senties (« Plus tu baises, moins tu cogites, mieux tu dors. »). Ici prend fin une tradition poétique du cinéma français rompue à la belle image et au verbe fleuri (Marcel Carnet et Jacques Prévert). Il est loin le temps où, pour contourner les obstacles de la censure, les cinéastes recouraient à des stratégies figuratives. À la façon dont Alfred Hitchcock, dans La Mort aux trousses (North by Northwest, 1959), s’emparait d’un train pénétrant dans un tunnel pour suggérer l’étreinte érotique de ses protagonistes. Loïc Millot

Baise-moi (France, 2000, vo) sera projeté mercredi 25 juillet à 20.30 heures à la Cinémathèque de la Ville de Luxembourg, place du Théâtre.

Loïc Millot
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