Hiver

Peut-être

d'Lëtzebuerger Land vom 27.04.2012

C’est l’histoire d’une rencontre fortuite près d’un banc, quelque part, un soir d’hiver. Deux êtres paumés se rencontrent par pur hasard. « Hé, toi ! Toi. Toi. Oui, toi. Mais qu’est-ce que tu t’imagines. T’en aller comme ça. Oui. Oui je te parle. Je ne comprends pas. Je te parle tout de même ! » l’interpelle-t-elle. Mais il veut s’en aller quand même, fuir – et elle doit avoir recours à toutes sortes d’astuces pour attirer l’attention de cet homme trapu, renfermé, comme un seul bloc. Elle, « la femme » dans le texte, est fragile, frêle, ne tient pas debout. Lui, « l’homme », est tout son contraire. Hiver, une pièce de l’auteur norvé-gien Jon Fosse remontant à 2000 et dont le public luxembourgeois a déjà pu découvrir, en 2005, la version allemande dans la célèbre mise en scène de Jossi Wieler (avec les époustouflants André Jung et Sylvana Krappatsch) raconte l’amour asynchrone d’un couple asymétrique. Une non-rencontre en somme.

Bon, il faut dire, les histoires de couples, il n’y a plus que ça sur les scènes autochtones. Comme si les artistes luxembourgeois, les metteurs en scène et les programmateurs des salles de théâtre, étaient recroquevillés sur l’intime, hermétiques au cri qui déchire la société, l’Europe toute entière. Du Purgatorio au Théâtre national à cet Hiver au Limpertsberg, on nous parle de l’impossibilité d’aimer, de vivre ensemble, de la grossièreté croissante de la société. Et Jon Fosse en parle de manière magistrale, incarnant véritablement le déphasage entre deux êtres dans sa langue déchirée, perplexe, qui frôle le mutisme.

Ils sont on ne peut plus différents, caractères aussi opposés que le sont leurs corps : elle donne l’assaut sur cet homme banal, veut le conquérir, le posséder pour trouver un moment de paix dans une vie qui semble la dépasser. Vulgaire, agressive, elle le repousse à coups de « je suis ta nana, n’est-ce pas ? » et son état second, mais le conquiert par sa fragilité. Plein d’empathie, il la relève, l’abrite, l’habille même. Leur brève rencontre est aussi une mise à mort de la vie antérieure de l’homme, marié et père de deux enfants, un étranger dans cette ville, qui était venu pour un rendez-vous professionnel. Qu’il rate à cause de la femme – petite bifurcation dans une vie toute tracée et qui le motivera à tout plaquer. Plus que l’histoire d’une aventure sexuelle, ce qui se passe – ou ne se passe pas – entre eux, c’est une quête de tendresse et de protection.

Que Sophie Langevin ait choisi cette pièce n’étonne guère, car elle parle, comme déjà La nuit juste avant les forêts de Bernard-Marie Koltès, sa précédente mise en scène, au Centaure, de l’impossible rencontre avec l’Autre, de la solitude, de la cruauté de la société. Sa lecture de la pièce est celle d’une urgence, elle lui a insufflé un rythme endiablé, qui fait des longs monologues déchiquetés de la femme (Céline Langlois, très dynamique) un staccato déchaîné et réduit parfois un peu trop l’espace accordé aux silences éloquents de l’homme (Jean-Louis Coullo’ch, impressionnant de non-dits). Portée par une très belle musique d’ambiance composée par André Dziezuk et une scène tournante minimaliste mais très efficace (banc public côté pile, chambre d’hôtel côté face) conçue par François Dickes, sa mise en scène est esthétique et poétique à la fois.

Hiver de Jon Fosse, dans la traduction française de Terje Sinding, mis en scène par Sophie Langevin, avec Céline Langlois et Jean-Louis Coulloc’h ; scénographie par François Dickes ; costumes : Caroline Koener, création sonore : André Dziezuk, images : Jako Raybaut, lumières : David Debrinay, était une production des Théâtres de la Ville de Luxembourg ; plus d’autres représentations prévues.
josée hansen
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