Gastro bon marché

Bonne chair n’est pas chère

d'Lëtzebuerger Land du 20.05.2010

Non, le Luxembourg n’est pas (ou n’est plus) trop riche, il l’est seulement devenu trop vite, oubliant en chemin ses traditions paysannes, et notamment celles d’une cuisine de pauvre qui n’est pas, loin s’en faut, une cuisine pauvre. En ces temps de crise, la rédaction a demandé aux mousquetaires de concocter un repas pour une famille de quatre personnes ne dépassant pas la somme de quinze euros. Il est bien sûr possible de manger bon et sain pour pas cher, à condition d’y consacrer du temps et de se souvenir que manger n’est pas synonyme seulement de se nourrir, mais aussi et surtout de passer un bon moment ensemble, tant à table, qu’à la cuisine et au marché. Dans un supplément consacré aux loisirs, n’ayons donc pas peur de (ne pas) perdre du temps à la collecte des matières premières, à leur préparation et enfin à leur dégustation. Privilégions pour cela les produits de la saison et du pays, cela fait baisser la note des frais et, accessoirement, l’indice carbone.

Commençons alors par une ballade à travers prés et champs et ramassons, en cette saison, le pissenlit. Pour notre entrée, « gi mer also Bettseecheschzalot stiechen ». Le terme de salade est d’ailleurs impropre, car le pissenlit est un légume de la famille des endives et de la chicorée, les composacées. Ces légumes ont en commun leur goût amer, que nous adoucissons en rajoutant une (homéopathique) pincée de sucre à notre vinaigrette qui mêle échalote, poivre, sel, huile de tournesol et vinaigre Pündel et qui assaisonne notre salade que nous nappons encore de deux œufs mollet et de quelques croûtons de pain que nous avons fait revenir avec du beurre « Rose » dans la poêle.

Le plat principal rend hommage aux basiques de la gastronomie luxembourgeoise que sont les pommes de terre et la viande de porc. Pour notre hachis parmentier nous mélangeons alors un kilo de hachis de porc à de l’oignon, du sel, du poivre, du persil finement haché, un peu de mie de pain et un jaune d’œuf avant de faire revenir le tout brièvement dans une grande poêle. Avec un kilo de pommes de terre Nicola nous faisons une purée en ne lésinant ni sur le lait, ni sur le beurre. On veut bien être pauvre, mais pas misérable. Nous beurrons ensuite un plat allant au four, nous y étalons la viande que nous recouvrons avec la purée parsemée de fromage râpée avant d’enfourner le tout une dizaine de minutes. Ce plat sera accompagné par de l’eau de robinet (notre grès de Luxembourg vaut bien les terroirs de Vittel et de Badoit, voire de Rosport) ainsi que d’une bouteille d’Elbling 2009 de chez Charles Decker.

Le plat de fromage sera constitué par un bol de cancoillotte que nous étalons sur ce qui nous reste du pain au levain de chez Obertin. Les fraises de Steinsel n’étant pas encore mûres, nous nous rabattons sur la gariguette française qui finit sa saison et que nous arrosons de miel du pays que nous avons préalablement fait chauffer avec un peu de poivre et de jus de citron.

Ayant ainsi fait pas mal d’économies, nous voulions fêter le succès de notre pari en ouvrant le soir une bouteille de Mouton-Rothschild 1994 que nous avions achetée en de meilleurs temps pour la modique somme de 1 600 francs et qui vaut aujourd’hui au bas mot quelque 160 euros. Las, elle était bouchonnée. Qu’à cela ne tienne, nous avons préparé le lendemain avec cette vinasse un bœuf carottes accompagné non pas de pâtes tendance, mais de nouilles bien de chez nous, arrosé d’un gouleyant Beaujolais Villages 2009 de chez Chermette.

Vous êtes allergique à la viande et préférez le poisson ? Ce luxe, bien sûr, vous coûtera un peu plus cher, mais essayez donc le maquereau (3,97 euros pièce à la Poissonnerie centrale de la rue de Strasbourg à Luxembourg). La recette est fournie au téléphone par la femme même du patron : vous prenez une cocotte et y faites revenir des tomates et des oignons avec un peu d’huile d’olive, du poivre et du sel, vous ajoutez ce qui vous reste du vin bouchonné et vous couchez les poissons bien vidés dessus. Vous faites doucement mijoter pendant une dizaine de minutes et servez le tout saupoudré abondamment de persil que le poissonnier vous offre gratuitement. Ce plat exotique appelle le riz et, pourquoi pas, une bouteille de Pinot Noir de la sympathique famille Maurice d’Ancy sur Moselle en Lorraine.

En automne, je vous invite à la cueillette des champignons qui accompagneront à merveille une pièce de gibier dont un ami chasseur vous aura fait généreusement cadeau. À moins que vous ne préfériez le boudin qui sera « fett wei e Paaf a schwaarz wei der Deiwel ».

Morale de ce menu : un hareng sera toujours meilleur et moins cher qu’un saumon d’élevage et il en va de même du pâté de campagne face au foie gras industriel. Les pièces de boucher que la ménagère luxembourgeoise continue de dédaigner et qui ont nom onglet, bavette, souris, araignée et j’en passe sont elles aussi nettement moins chères et autrement plus goûteuses que le sempiternel filet. Nous avons tort ensuite de mépriser les abats, ces « Innereien » que les gonzesses germaniques n’hésitent pas à traiter d’« Igittereien ». Et tant pis si cela fait monter cholestérol et acide urique, il nous restera toujours l’industrie pharmaceutique pour nous tirer d’affaire.

Aramis
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