Passé d’informaticien dans une multinationale à journaliste culturel, correcteur, musicien et écrivain, Florent Toniello explique ce changement de vie et l’importance de la poésie dans le monde d’aujourd’hui

« Le sens s’efface devant la musique »

Florent Toniello
Foto: Sven Becker
d'Lëtzebuerger Land vom 29.03.2024

Florent Toniello a toujours aimé les livres. Né il y a 52 ans à Lyon, il préférait déjà, enfant, bouquiner tout seul dans sa chambre plutôt que de jouer au foot avec ses amis. Parmi ses nombreuses lectures, ce sont Les Trois Mousquetaires qui l’ont le plus marqué : « Pour moi, on ne peut pas le surpasser », affirme celui qui relit encore avec plaisir l’œuvre de Dumas. Il retrouve ce même esprit de capes et d’épées auprès de Jean-Philippe Jaworski, professeur de lycée à Nancy et auteur de jeux de rôles et de fantasy. Du côté de la poésie, il a commencé par chanter les fables de Jean de La Fontaine avec sa grand-mère qui les connaissait par cœur. Plus tard, il retrace un coup de cœur pour Jean Cocteau, sa poésie, ses pièces de théâtre et ses films.

Cependant, Florent Toniello ne s’était jamais imaginé que lire et écrire devienne son métier : « J’étais encore influencé par tous les codes que l’on nous transmet depuis l’enfance, comme l’idée que réussir sa vie signifie gagner beaucoup d’argent ou ce genre de choses… » Il se lance dans des études de physique appliquée avant de travailler dans une société multinationale bruxelloise. D’abord informaticien, il devient directeur informatique avec des responsabilités en Italie, en Espagne ou au Portugal. « Au début, j’étais fier, je faisais partie des grands cadres », reconnaît-t-il. Mais la dissonance cognitive s’intensifie peu à peu : difficile de travailler pour une industrie qui vend des détergents quand on lave ses vêtements au savon de Marseille ou de devoir annoncer leur licenciement à plusieurs ouvriers. En fin de compte, Florent Toniello n’en peut plus et, son fils étant encore jeune, demande un congé parental pour faire une pause. Sa femme devient fonctionnaire européenne et déménage au Luxembourg. On est en 2011. L’année suivante, l’ex-directeur informatique la rejoint et sa deuxième vie commence.

Dans les cinq ou six dernières années avant de quitter Bruxelles, Toniello avait commencé à corriger des livres électroniques bénévolement avant d’être rémunéré par les éditions Phi. Avec l’argent gagné, il se paie une formation de correcteur et découvre peu à peu la poésie contemporaine. « C’était bien plus intéressant que ce que j’avais appris au lycée », réalise-t-il. Deux ans après son arrivée au Grand-Duché, il rejoint l’équipe du Woxx où il poursuit son travail de correcteur et écrit des articles culturels.

En 2015, sort son premier recueil de poèmes, Flots et obtient le premier prix du Concours littéraire national. D’autres recueils suivront comme L’oreille arrachée et autres épitaphes, Lorsque je serai chevalier et Ptérodactyle en cage en 2017 puis, l’année suivante, Apotropaïque et Foutu poète improductif. L’année 2018 voit aussi sa première pièce de théâtre émerger : La Petite Fabrique des notes, créée à la suite d’une commande du professeur de piano de son fils pour mettre le compositeur Offenbach à l’honneur. En 2020, avec Ganaha, Toniello s’essaie au genre du roman de science-fiction, bien que l’auteur avoue qu’il s’agit d’un « recueil de poésies déguisé ». Deux autres recueils, Mélusine au gasoil et Vidée vers la mer pleine, sont publiés en 2021. Enfin, Honorable Brasius, composé de cinq nouvelles, paraît en 2023 chez Hydre éditions. « Je me rends maintenant compte que la nouvelle est plus à ma portée » explique l’auteur à propos de son « galop d’essai » qu’était Ganaha. Les activités littéraires se multiplient et, en novembre 2023, Florent Toniello quitte la rédaction du Woxx par manque de temps.

La poésie reste le genre privilégié de l’auteur. Sa bibliothèque en est remplie, ne laissant presque plus de place aux romans qu’il lit donc majoritairement en version numérique. D’après lui, la poésie est une forme littéraire qu’on oublie trop souvent car, en sortant de l’enfance, on se coupe de cet imaginaire : « Une fois entré dans l’âge adulte, bah voilà, il faut être sérieux » regrette-il. Il ajoute avec un léger sourire : « Alors qu’on peut faire des choses sérieuses tout en lisant de la poésie ». La deuxième raison pour laquelle il a choisi la poésie est qu’il s’agit d’un genre plus facile à faire rentrer dans un emploi du temps serré alors que le roman demande de se cloîtrer pendant des heures. « J’ai horreur de ça ! » reconnaît l’auteur. Enfin, la poésie lui permet de se reconnecter à une autre de ses passions : la musique. D’où l’importance de déclamer les textes. L’auteur espère d’ailleurs refaire une collaboration musicale, comme ce fut le cas avec Jean Hilger pour Ptérodactyle en cage.

Les lectures du poète sont parsemées de pauses musicales mais, ce qu’il préfère, c’est quand la voix et la musique se mélangent simultanément. Il considère que la poésie est aussi une ambiance et qu’il ne faut pas forcément la comprendre. Le rythme et la musique sont presque plus importants que le sens. « Qui suis-je pour dire quelque chose de plus important que les autres ? Si j’ai réussi à apporter des questions c’est déjà bien, j’ai si peu de réponse que j’aurais tendance à dire que chacun comprend ce qu’il veut ». Si Toniello n’exprime pas explicitement les valeurs qui lui tiennent à cœur dans ses textes, il fait néanmoins partie de l’organisation « Poets of the Planet » qui entend promouvoir la paix à travers la poésie. Il participe aussi aux manifestations qui mettent l’art au profit de grandes causes. Ce qui aurait deux grands avantages : toucher un public autre que les passionnés de poésie présents lors des lectures habituelles et montrer que les poètes ne sont pas simplement de « doux rêveurs qui parlent des fleurs et des oiseaux ».

La construction de ses poèmes commence par des notes prises spontanément car il puise son inspiration en parlant aux autres, en marchant dans la rue, en rêvant, bref, en vivant. Toniello se penche sur ces choses « auxquelles on ne prête pas forcément attention ». Il se rappelle ainsi ce petit dinosaure en plastique délaissé sur un trottoir qu’il a photographié et qui lui a inspiré un de ses « poèmes sporadiques » que l’on retrouve sur son site. Mais, pour être publié, un poème doit être retravaillé : « Quand je me relis, je réalise que j’ai pu être trop influencé par des choses que j’ai lues, des idées trop simples, des expressions trop communes ». L’auteur recherche l’insolite, à l’image de son dernier recueil Vidée vers la mer pleine paru chez Phi, dans lequel l’héroïne bat pavillon luxembourgeois, l’existence d’une flotte luxembourgeoise étant en soi insolite. « Comme je suis correcteur, j’essaie de trouver les choses que les auteurs n’ont pas vu, ça peut être des fautes d’orthographe tout simplement mais c’est toujours la même chose : relever des choses à côté desquelles on passe ».

Pour écrire de la poésie aujourd’hui, Florent Toniello conseille tout d’abord d’en lire. Pour se faire une autre culture que les Rimbaud ou les Verlaine appris à l’école, il recommande d’assister à des lectures, des marchés ou encore des festivals. Lui a commencé par lire Jean Portante avant de se plonger dans le monde de la poésie contemporaine. Ensuite, libre aux futurs poètes de dépasser leurs lectures et de trouver leur propre voie / voix. La sienne le mène aujourd’hui à passer deux mois en résidence à Berlin, en avril et en octobre de cette année. Florent Toniello a prévu d’écrire un recueil de poésies et une nouvelle dans laquelle les lecteurs retrouveront son « ami Brasius ».

Yolène Le Bras
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