Leitartikel

Mieux vaut être riche et en bonne santé…

d'Lëtzebuerger Land du 20.10.2017

...que pauvre et malade, dit la boutade, et le Statec vient confirmer la corrélation entre santé et bien-être matériel cette semaine avec la publication de son rapport Travail et cohésion sociale 2017. Il y constate une double causalité : plus on est pauvre, plus on est en mauvaise santé ; et plus on est en mauvaise santé (tabagisme, obésité, dépression), plus on risque de rester en situation de pauvreté. Au Luxembourg, les inégalités sociales non seulement se creusent – le taux de risque de pauvreté a encore augmenté, de 18,5 pour cent de la population en 2015 à 19,7 en 2016 –, mais deviennent en outre de plus en plus visibles. Ce sont les conducteurs de Porsche Cayenne versus les utilisateurs des bus ; ceux qui partent en vacances cinq fois par an contre ceux qui économisent pour pouvoir envoyer leurs enfants en colonie ; ceux qui achètent leur brunch du week-end au traiteur de luxe italien versus ceux où c’est pâtes produit blanc cinq fois par semaine. Pour la bonne conscience, les premiers sont prêts à garer parfois leur grosse berline devant un supermarché régional et de participer à une collecte de produits de première nécessité pour la banque alimentaire organisée par leur « service club ». Car, autre chiffre inquiétant fourni par le Statec, si les dix pour cent des personnes les moins aisées ne possèdent que trois pour cent du revenu total, les dix pour cent les plus aisés en amassent, quant à eux, 24 pour cent.

Les inégalités se creusent donc de manière dramatique, mettent en garde les ONGs sociales en réaction à ces chiffres, ce qui fait bondir les organisations patronales. Ce qu’on fait ici, dit en substance Jean-Jacques Rommes, président de l’UEL, c’est se ­plaindre à haut niveau. Les pauvres sembleraient de plus en plus pauvres parce qu’il y a plus de riches, mais ce ne serait qu’une illusion d’optique. Or, le mode de calcul du seuil de pauvreté est on ne peut plus clair : il s’agit d’un revenu disponible équivalant à soixante pour cent du revenu médian. Le revenu médian étant celui où cinquante pour cent de la population ont un revenu supérieur et cinquante pour cent un revenu inférieur. Le seuil de pauvreté se situait à 1 689 euros en 2016, c’est plus bas qu’en 2015. Et sans transferts sociaux, le taux de pauvreté se situerait autour de quarante pour cent. Dix pour cent de la population vivent avec moins de mille euros par mois. Comment faire, dans un pays où, justement, les hauts revenus tirent les prix, notamment du logement, vers le haut ?

À un an des législatives, la partie gauche du gouvernement Bettel/Schneider/Braz se voit reprocher d’avoir oublié le volet social durant les quatre dernières années, de ne pas avoir tout mis en œuvre pour que les inégalités sociales soient amoindries. Au contraire, beaucoup des politiques de la majorité ne contenaient aucune sélectivité sociale : les iPad et les livres gratuits le seront pour tous les ménages, tout comme la réforme des allocations familiales n’a pas été couplée à des conditions sociales et celle du congé parental profite surtout aux revenus les plus élevés. Le réforme du RMG/Revis, en cours, se fait dans une philosophie de méfiance et de peur de l’abus, comme s’il fallait surtout chasser ceux qui toucheraient des aides publiques indues. Chaque étranger pauvre (les expats de luxe en sont exclus) doit désormais signer un contrat d’insertion et chaque chômeur être prêt à se faire « activer » dans le cadre d’une mesure pour l’emploi, alors qu’à l’autre extrémité de l’échelle des revenus, le gouvernement déroule le tapis rouge aux high-net-worth individuals. Désormais, prône la nouvelle génération des leaders libéraux à la Macron, faire un effort doit à nouveau valoir la chandelle, on ne doit plus jalouser les hommes d’affaires qui réussissent. S’activer, c’est très bien, mais il faut en avoir les moyens de départ (et la santé). Car « on ne peut pas se remonter les manches quand on n’a pas de chemise », dit le journaliste et sociologue britannique Joseph Hanlon. Dans la foulée des débats de cette semaine, la ministre de la Famille Corinne Cahen (DP) a vite annoncé une réforme de l’allocation de vie chère. Pour au moins donner l’impression de « faire quelque chose » dans la lutte contre cette scandaleuse pauvreté.

josée hansen
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