« L’été grec »

Carnet-paradoxes

d'Lëtzebuerger Land du 21.08.2015

Καλοκαιρινή ραστώνη (Kalokairini rastóni) Kalokairi veut dire l’été en grec moderne. Le mot rastóni quant à lui, est grec antique et il est utilisé tel quel en grec moderne. Rastóni, qui pourrait signifier le dolce farniente italien, l’absence d’action ou la nonchalance, est intraduisible en français (en anglais et en allemand également) car il s’agit d’un « mot estival » – détail intéressant : son utilisation implique toujours l’idée de l’été. Cet été grec – pour reprendre le titre du livre homonyme de Jacques Lacarrière1 – est pourtant différent de tous les autres.

Les paradoxes politiques Ils sont assez nombreux à caractériser cette saison. Il y a d’abord une gauche radicale qui a franchi presque toutes ses « lignes rouges » afin de pouvoir signer un accord avec les créanciers du pays ; puis les banques, qui fonctionnent avec un peu plus de liquidité suite à l’accord, mais toujours sous contrôle restrictif des capitaux. Il y a ensuite un gouvernement profondément déstabilisé, la menace de la montée de l’extrême droite et « cette sensation de revenir à la case départ », comme dit Giorgos, jeune avocat à la cour de Thessalonique. Le tout sur fond d’une chaleur insupportable qui brûle encore et ralentit absolument toute action.

Élections en perspective Depuis le lendemain du referendum, le parti de Syriza est officiellement divisé ; le gouvernement grec se retrouve ainsi inconfortablement dépendant de l’opposition. Ce qui rend les élections prochaines presque certaines. Au moment de l’écriture de cet article, nul ne sait encore quelle forme prendra cette division. Il y aura certainement le côté majoritaire d’Alexis Tsipras et celui de Panagiotis Lafazanis – en tête de l’aile gauche de la gauche qui, actuellement du moins, se dit prêt de sortir de la zone euro ; et peut-être même le KOE (Organisation Communiste Hellénique).

Intéressants « dangers » Les personnalités du parti médiatiquement les plus puissantes et dont l’orientation va jouer un rôle considérable sont deux : Yanis Varoufakis, l’ancien ministre des finances et Zoé Konstantopoulou, la présidente du parlement hellénique. Varoufakis – qui dit soutenir Alexis Tsipras, mais pas l’accord signé avec les créanciers – rejoindra-t-il l’aile gauche de Syriza avec laquelle il a très peu de positions communes ? Et Zoé Konstantopoulou – qui a été victime d’un harcèlement médiatique plus qu’exagéré en raison de son « tempérament de feu » et dont la seule déclaration directe par rapport à l’euro a été de dire que « personne n’a le droit de sacrifier un peuple pour quelque monnaie que ce soit » – que fera-t-elle ? La question est aussi de savoir ce que Tsipras fera d’eux…

Et la démocratie bordel ? Quoi qu’il en soit, que les membres de Syriza soient « unis ou divisés dans leurs désaccords », pour reprendre l’expression de Varoufakis – et même si à un niveau politique international les enjeux sont… autres – ; ceux qui ont mené le parti au pouvoir – les Grecs – ont, dans leur majorité, l’impression de faire partie d’un jeu devenu cynique et ne savent plus quoi penser, même des notions fondamentales telles que « gauche », « politiques sociales », « promesses et engagements politiques » – et, surtout, du sens même du vote puisqu’il a été retourné en son contraire avec le referendum. En effet, en cet été 2015, le mot rastóni n’est pas le plus approprié.

Vie normale, digne C’est le droit que réclame le peuple grec. Paradoxalement, c’est exactement le même droit qui meut l’afflux massif des réfugiés de guerre et des migrants économiques qui arrivent chaque jour en Grèce2. « Ils viendront quoi qu’il arrive et ils passeront au nord européen à tout prix. Il faut absolument nous organiser en coopération réelle avec les autres pays européens car ce sont eux leur destination finale », explique Artémis, membre d’une association de volontaires qui distribue chaque matin de l’eau potable et des fruits secs aux nouveaux arrivés à la gare routière de Thessalonique.

Paradoxalement alors, et encore, et malgré la situation sociopolitique très grave du pays, si cet été devait avoir un visage, ce visage ne serait pas que grec. Il aurait aussi quelque chose de l’indifférence des partenaires européens face à la situation d’urgence des immigrés ; mais surtout – urgence ultime – quelque chose de l’espoir acharné pour une vie meilleure qu’expriment les visages de tous ces êtres humains, qu’il soient réfugiés politiques ou migrants économiques.

1 Exception estivale, ce « carnet grec » empreinte le nom de l’œuvre littéraire en question. Le livre est publié en 1975, après que son auteur ait arpenté le pays pendant vingt ans et un an après la chute de la dictature des colonels. L‘Été grec raconte, sous forme de chroniques, de reportages et de fragments poétiques, la passion d’un homme « amoureux » du pays encore meurtri. Ce livre, constitue l’un des meilleurs « guides » pour la Grèce, même si elle a beaucoup changé depuis.
Sofia Eliza Bouratsis
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