Quatre ans après avoir promis la gratuité de la garde d’enfants, Jean-Claude Juncker confirme l’augmentation de la participation financière des parents et des coupes claires dans le cofinancement des crèches commerciales

Pour une poignée d’euros

d'Lëtzebuerger Land du 18.05.2012

« Cette réforme est probablement la chose la plus erronée qu’on puisse faire dans le domaine de la garde d’enfants ! » s’insurge Robert Urbé, économiste de formation et coordinateur de Caritas Luxembourg. Non seulement les différentes organisations fédérées dans Caritas gèrent-elles quelque 45 maisons relais, foyers de jour et crèches conventionnés, mais la confédération a pour habi[-]tude de s’impliquer dans le débat public pour tout ce qui touche à la justice et la cohésion sociales au Luxembourg. « Nous restons d’avis que l’accueil et la garde d’enfants doivent être gratuits, tout comme l’école obligatoire est gratuite, continue-t-il. L’encadrement des enfants a aussi une visée éducative. »

Dans sa Déclaration sur l’état de la nation, le 8 mai à la tribune du parlement, le Premier ministre Jean-Claude Juncker (CSV) a confirmé, parmi une ribambelle de mesures d’austérité pour assainir les finances publiques, deux mesurettes de réforme du système des chèques-services accueil (CAS), devant faire faire une économie totale estimée à huit millions d’euros annuels à l’État : d’une part, la participation des parents au financement de la garde augmentera de entre 0,50 et 1 euro de l’heure et de entre 1 et 2,5 euros par repas, selon les revenus des parents. De l’autre, la participation de l’État aux crèches et garderies commerciales diminuera de 7,5 euros de l’heure actuellement à six euros de l’heure.

« Chaque année, lors des débats sur le budget d’État, on nous reproche de ne pas être assez sélectifs dans notre politique sociale, » explique la ministre de la Famille, Marie-Josée Jacobs (CSV), interrogée par le Land. Avec ce système, très facile à mettre en place, nous pourrons mieux cibler notre soutien. » Selon la récente étude du Politmonitor RTL-Luxemburger Wort-TNS-Ilres (publiée le 4 mai 2012), 76 pour cent des personnes interrogées se diraient d’accord avec une politique sociale plus sélective, i.e. adaptée aux revenus des ménages.

Classes moyennes Or, tout le monde estime toujours que « les riches, c’est les autres ». L’augmentation des tarifs touchera pourtant beaucoup de ménages luxembourgeois, et de manière substantielle : si un ménage gagnant entre 3,5 et quatre fois le salaire social minimum (soit entre 6 300 et 7 200 euros) payera cinquante centimes d’euros par heure et un euro par repas de plus, a calculé Gilles Dhamen de la Croix-Rouge, autre grand prestataire de garde conventionnée (quatorze structures en tout), cela pourrait représenter une surcharge de entre 150 et 300 euros mensuels pour un ou deux enfants inscrits à plein temps dans une crèche. « Un budget qui leur manquera à la fin du mois, » regrette-t-il. Une famille avec un revenu brut de 4,5 fois le salaire social minimum (8 100 euros) et trois enfants verrait même doubler sa facture à la fin du mois, de 600 à 1 200 euros, estime Robert Urbé de Caritas. Ce qui aurait, à ses yeux, des conséquences néfastes sur les visées sociales mêmes des structures de garde : ces familles pourraient s’organiser autrement, en ayant par exemple recours à des nounous à domicile, et les crèches et garderies publiques seraient réduites à des ghettos d’enfants défavorisés.

Surtout que la somme en jeu pour l’État est minime : l’augmentation de la participation financière des parents permettrait de faire des économies de l’ordre de trois millions d’euros – un peu plus d’un pour cent sur les 223 millions que l’État doit investir cette année dans le secteur de la garde d’enfants (source : projet de budget d’État 2012, IGF).

Optimisations Si toute politique sociale contient ses propres risques de dérives, celle des chèques-services accueil, introduits à la hâte en mars 2009, juste avant les dernières élections législatives, en est criblée. Et de plus en plus de voix les critiquent, demandent que les injustices flagrantes qui existent dans le système soient éradiquées avant toute autre réforme. Comme ces couples très aisés qui évitent de se marier ou de se pacser avant que les enfants aient atteint l’âge de douze ans pour que Madame, qui n’a « pas besoin de travailler » puisse les inscrire à son nom – sans revenus – à la commune, et déposer les enfants pour quelques dizaines d’euros par mois dans une crèche pour aller faire du shopping ou du tennis. Ne faudrait-il pas aussi s’orienter selon le besoin réel de la garde ? Et pourquoi le quatrième enfant est-il forcément accueilli gratuitement, même dans les ménages de consultants d’entreprises ou de banquiers ? Ne faudrait-il pas analyser le budget disponible du ménage, donc pas seulement additionner deux salaires avant impôts pour le calcul, mais également en soustraire les frais fixes, comme notamment l’endettement, comme le préconise la Croix-Rouge par exemple ?

« Il ne faut jamais confondre ‘population à risque’ et ‘famille défavorisée’, il y a aussi des familles aisées où les enfants ne mangent pas, » souligne Yves Oestreicher, économiste et directeur administratif de l’Entente des foyers de jour, qui regroupe les prestataires associatifs gérant des foyers conventionnés. En amont de la réforme du secteur (aussi en ce qui concerne les critères de qualité et les procédures d’agrément, voir d’Land du 2 mars 2012), l’entente a négocié durant des mois avec le ministère de la Famille et les communes regroupées dans le Syvicol pour que puisse être trouvé un système socialement plus nuancé, « et nous étions étonnés d’apprendre la mesure qui a finalement été retenue, » ajoute Yves Oestreicher.

La ruée vers l’or Le Plan national de réforme que le Luxembourg envoie à Bruxelles dans le cadre du semestre européen, présenté fin avril, liste le système des chèques-services accueil parmi ses mesures pour atteindre l’objectif numéro 5.5 du plan, intitulé « inclusion sociale ». Le gouvernement s’y enorgueillit (page 41) d’une relation « offre-population totale 0-12 » (ans) de 48,49 pour cent : sur les quelque 78 000 enfants entre zéro et douze ans que le Statec comptait au 1er janvier 2012, presque la moitié trouvaient une place dans une structure de garde. Or, si la grande majorité de ces places, 27 400 en 2011, étaient dans les maisons-relais, les chiffres des crèches et garderies que le ministère de la Famille publie dans ce document sont impressionnants : entre 2010 et 2011, seulement dix places (0,49 pour cent, à 2 069 places) supplémentaires ont été créées dans des crèches conventionnées, alors que le secteur commercial a explosé : plus 31 pour cent ou 1 368 places, à 5 800 places disponibles dans ces maisons privées transformées à la hâte en crèches par des entrepreneurs (voir d’Land du 11 mai) pour profiter de la très grande demande – et de la manne financière que constitue l’aide de l’État.

Alors que le ministère de la Famille, après inspection des lieux et vérification des installations et du personnel engagé, participe encore aujourd’hui avec 7,5 euros par heure à leur financement, cette subvention sera abaissée à six euros avec cette réforme, ce qui fait gagner cinq millions d’euros à l’État. « Ces crèches privées ne sont pas liées à la convention collective du secteur, estime la ministre. Elles ne payent pas les mêmes salaires, donc nous pouvons réduire leurs subventions. » Or, si ces quelque 220 crèches, foyers de jour et garderies privés que le ministère de la Famille cite dans son rapport annuel 2011 sont effectivement en premier lieu des entreprises commerciales (elles ne sont ni fédérées ni organisées en aucune sorte), elles ne vont pas en rester là et accepter ces réductions de leurs bénéfices. Alors, soit elles forcent les parents à augmenter – une deuxième fois, donc au-delà des 0,50 ou un euro – leur participation, soit elles font des coupes dans la qualité de l’encadrement, du personnel ou des repas. Sur le dos des enfants. C’est la plus grande crainte de tous les observateurs du secteur.

Marie-Josée Jacobs pourtant se veut ferme sur ce point : « Nous allons continuer à les contrôler, et les contrôler encore mieux. Et si nous constatons qu’ils ne remplissent pas les critères de qualité de l’accueil, dit-elle, nous n’hésiterons pas à les fermer. Nous l’avons fait de plus en plus souvent ces derniers temps, et nous n’hésiterons pas à le re-faire. » Pour Robert Urbé pourtant, les contrôles, c’est bien, mais il ne faut pas oublier que « si tellement de crèches commerciales ont ouvert ces dernières années, cela prouve simplement que les crèches et garderies conventionnées n’arrivaient plus à répondre à la demande de la part des parents. »

josée hansen
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