Chroniques de l’urgence

Faire cesser l’impunité

d'Lëtzebuerger Land du 20.11.2020

L’institution d’un crime d’écocide et de son pendant, des juridictions capables de poursuivre ceux soupçonnés d’en être coupables, ne sont plus un luxe. La question se posera tôt ou tard, lorsque les dégâts causés par la détérioration des équilibres terrestres infligeront à un nombre croissant d’humains d’incommensurables souffrances. C’était l’exigence de Polly Higgins, l’avocate écossaise décédée l’an dernier qui a inlassablement lutté pour que le crime d’écocide soit reconnu et poursuivi. 

Les dirigeants des grands groupes pétroliers font partie de la première fournée d’inculpés à traduire devant la future Cour chargée de juger ce type de crime contre l’environnement et le climat. Les recherches de Naomi Oreskes et Erik Conway, étayées depuis par de multiples révélations, ont démontré que loin de se contenter de satisfaire une demande pour leurs produits, ces groupes ont activement semé le doute sur les risques climatiques dès les années 1970, et ce alors que leurs états-majors en étaient parfaitement conscients. A l’égard de la crise climatique, Il n’y a pas de commune mesure entre la responsabilité du banlieusard qui, faute d’alternative, fait le plein de diesel pour aller travailler, et Ben van Beurden, le CEO de Shell, qui dit investir en 2020 un à deux milliards de dollars par an dans des sources d’énergie propre contre 24 à 29 milliards dans le pétrole et le gaz, tout en prétendant souscrire aux objectifs de l’accord de Paris.

Les vastes opérations d’enfumage et de manipulation de l’opinion orchestrées par les « marchands de doute », comme les ont baptisés Oreskes et Conway, se poursuivent. Les élections sénatoriales dont l’équivalent d’un second tour se dérouleront en janvier en Géorgie, avec pour enjeu la majorité au Sénat américain, sont l’occasion de pointer du doigt un autre candidat à un futur procès pour écocide. Charles Koch, le survivant des fameux frères Koch, un milliardaire à la tête d’un vaste conglomérat actif surtout dans les hydrocarbures, a versé au moins 33 millions de dollars en faveur des récentes campagnes de sept candidats républicains au Sénat. Pour faire élire ses deux poulains en Géorgie et ainsi s’assurer que le Sénat reste un obstacle à toute législation fédérale sérieuse en faveur de la transition énergétique, il s’apprête à leur verser à nouveau des millions. Vanity Fair dit de lui, en toute simplicité, qu’il est « une des pires personnes sur terre ». Lui et son frère ont dépensé des centaines de millions de dollars ces dix dernières années pour défendre leur agenda ultra-libéral et tuer dans l’œuf toutes mesures sérieuses d’action climatique. À l’encontre des van Beurden et Koch de ce monde, ainsi que des gouvernants qui les soutiennent, il est urgent, en instituant le crime d’écocide, de lancer un avertissement solennel et de faire éclater la bulle d’impunité dans laquelle ils se complaisent.

Jean Lasar
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