Cinéma

Rêveur et révélateur

d'Lëtzebuerger Land du 21.08.2015

La Jordanie n’est pas forcément connue pour sa production cinématographique. C’est pourtant de ce pays que provient un premier long-métrage qui a notamment fait parler de lui à la Mostra de Venise en rapportant le prix dans la sélection Horizons, destinée aux œuvres faisant preuve d’une certaine fraîcheur dans l’esthétique et la narration.

Theeb, réalisé par Naji Abu Nowar, est un film d’aventure comme on n’en voit plus beaucoup. L’histoire, jouant en 1916, est celle du garçon bédouin Theeb (Jacir Eid Al-Hwietat) qui vient de perdre son père et entretient une relation proche avec son frère aîné Hussein (Hussein Salameh Al-Sweilhiyeen). Lorsque la tribu, désormais menée par le plus âgé des trois frères, reçoit la visite d’un officier anglais et de son guide, la tradition bédouine exige qu’ils soient accueillis à bras ouverts, même si Theeb trouve le comportement du militaire intrigant. Ce dernier demande à être conduit vers un puits proche d’une ligne ferroviaire récemment construite. Lorsque Hussein est choisi comme guide dans cette région considérée comme dangereuse, Theeb s’arrange pour faire partie du voyage. Mais l’aventure prend une tournure dramatique lorsque les voyageurs sont pris en embuscade par des bandits. Le jeune protagoniste doit d’abord se battre contre ses attaquants adultes, puis faire équipe avec l’un d’entre eux pour faire face aux conditions impitoyables du désert.

Tout en partant d’un genre classique, le réalisateur s’éloigne des sentiers battus en s’en tenant strictement au point de vue de son jeune personnage principal. D’un côté, ce choix pose au spectateur le problème de comprendre les intentions des « adultes » et de se repérer dans le contexte historique, celui de la Première Guerre Mondiale et de la Grande Révolte arabe. D’un autre côté, il nous donne la chance de partager le sens de l’observation et l’intuition de l’enfant envers les personnages qui l’entourent. Son manque de bagage et d’expérience lui permet de voir plus facilement le vrai caractère de ses interlocuteurs.

Naji Abu Nowar insiste souvent sur des détails qui attirent l’attention de Theeb tout en échappant aux adultes, tel que l’officier qui fait semblant de manger le plat qu’on lui propose ou le scarabée qui passe à côté de lui lorsqu’il est allongé dans le sable. L’échelle des plans traduit elle aussi cette volonté de maintenir un caractère intimiste et confidentiel au film. Le réalisateur et son chef opérateur Wolfgang Thaler (Whores’ Glory 2011; Paradise: Love, 2012) n’insistent pas sur la dimension épique du décor naturel, caractéristique du western. La musique, signée Jerry Lane, évite un peu moins cette comparaison, mais s’avère souvent originale comme lors de la séquence où Theeb et son frère sont attaqués à nouveau par les bandits en pleine nuit.

Ramener un dilemme moral – celui de se trouver piégé et forcé à coopérer avec son pire ennemi – au point de vue d’un enfant, est sans doute le coup de maître de Theeb. Mais le film est avant tout porté par Jacir Eid Al Hwietat, un jeune acteur amateur, brillamment dirigé.

Fränk Grotz
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