Cinéma

Film avec vue

d'Lëtzebuerger Land du 21.08.2015

Une baie, symbole d’une ville. Celle de Guanabara, ses multiples rochers et promontoires, cet immense Christ, rédempteur, paraît-il, démesuré, surtout. Et en bas, sans qu’on en surprenne le tumulte, l’agglomération de Rio de Janeiro, seconde cité brésilienne la plus peuplée après Sao Paulo. Une ville fantasmée, où la fille d’Ipanema peut apparaître à tout moment.

C’est là qu’après Paris et New York et avant Jérusalem, des cinéastes ont décidé de s’inspirer et de proposer leur amour de la ville à la caméra : Rio, eu te amo continue la franchise entamée en France et transposée de mégalopole en mégalopole. Douze cinéastes pour onze court-métrages et un fil rouge qui sert de transition, avec à nouveau comme seul impératif la fiction. Les personnages, parlant portugais, mais aussi anglais ou français, se croisent, se parlent parfois, souvent ne se connaissent pas. Il y a cette femme qui vit dans la rue, avec des rituels qu’on croit hasardeux et qui va bouleverser les certitudes de ce jeune homme qui l’observe depuis son réveil. Celle, plus jeune, plus fortunée, qui cherche à masquer le néant de son existence auprès d’un vieil époux qu’elle maintient grabataire. Une autre, devenue un enjeu entre deux hommes meurtris qui font pleuvoir les coups... Et les hommes ! Prêt à partir, tel ce jeune danseur à qui on propose de travailler en Europe, ou comme cet acteur américain en soutane qui exaucera le vœu d’un enfant avant de retourner à la vie civile. On suivra aussi la fin d’une histoire d’amour entre un Américain et une Française frappés par la mélancolie et les regrets, un serveur avide de chaire fraîche, l’ascension métaphorique de deux hommes que tout oppose, un sculpteur de sable dépité ou encore un parapentiste en pleine crise de foi.

La règle du segment est respectée, tout comme celle du mélange des styles, code devenu immuable de la franchise : le fantastique côtoie bien la comédie romantique et le thriller a sa place, sans oublier la comédie sociale avec les enfants. Toutes ces propositions sont si calibrées qu’elles ont oublié d’avoir une véritable identité, tant esthétique que narrative. Sensoriellement, alors qu’on nous place dans une cartographie délibérément limitée, on s’échappe bien vite. Que reste-t-il de Rio, hormis sa baie ? Filmée de très haut, elle a la beauté redondante des lieux que l’on connait sans les avoir visités, inscrite dans l’imaginaire collectif. Pourquoi alors l’utiliser jusqu’à en épuiser le sens ?

Réalisés par des cinéastes brésiliens reconnus internationalement, tels Fernando Meirelles ou Carlos Saldanha, mais aussi étrangers, comme Sang-soo Im ou Paolo Sorrentino, ces films courts ne sont certes pas des cartes postales (le gros mot !) mais se détachent tant de la substance urbaine qu’ils ne parviennent pas à susciter l’émotion. Les personnages ne composent qu’une galerie atone et superficielle.

Finalement, c’est dans les transitions, réalisées par Vicente Amorim, réalisateur austro-brésilien, que l’on retrouve un souffle plus personnel. On suit Felicia (Claudia Abreu), fraîchement séparée de son compagnon chauffeur de taxi qui, au hasard de la journée, rencontre les différents personnages. Dans les rues, dans les salles de cours où elle exerce, au marché ou dans les cafés, c’est là qu’on prend véritablement le pouls de cette ville. Marylène Andrin-Grotz

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