Altars of Madness au Casino

Le Casino en délire

d'Lëtzebuerger Land du 28.06.2013

Elle a ses propres festivals, ses propres croisières et maintenant également sa propre exposition luxembourgeoise. La communauté du metal est en effet à l’honneur dans l’actuelle présentation au Casino, Altars of Madness, qui analyse l’influence du metal extrême sur les artistes contemporains. Le metal incorpore, beaucoup plus que la plupart des styles musicaux, un mode de vie et une pensée bien spécifiques. L’exposition apparaît dès lors hors du commun, autant qu’elle est un véritable défi esthétique.

Né dans les années 1980, le metal extrême peut être rapproché de la musique rapide, voire brutale à cause du son souvent agressif, et de l’altération de la voix, allant de l’aiguë au rauque, passant par le hurlement. Les paroles sont violentes et choquantes et thématisent la société de consommation, mais aussi des sujets plus radicaux et macabres comme le satanisme, l’occultisme, la mort et le suicide. Il n’est dès lors pas étonnant que des motifs comme le crâne, le squelette ou le pendu apparaissent et réapparaissent sur les tableaux, les photographies et les installations des seize artistes exposés. Altars of Madness, dont le nom tire son origine du titre du premier album du groupe de death metal américain Morbid Angel, se concentre sur trois sous-genres : le grindcore, le death metal et le black metal.

L’une des premières œuvres que l’on perçoit dès l’entrée du Casino est un tableau de Damien Deroubaix, déjà exposé plusieurs fois, et encore actuellement, à la Galerie Nosbaum & Reding et qui, à côté du commissaire d’exposition indépendant Jérôme Lefèvre, est responsable de l’exposition. Le titre de son tableau, World Downfall, fait référence au premier album du groupe grindcore Terrorizer, dont les paroles adressent, tout comme Deroubaix lui-même, une critique sévère à la société. La sculpture de Mark Titchner se veut tout aussi ironique. So Much Noise to Make a Silence (Major) est une construction en acier ressemblant à un carillon éolien, mais conçue de façon à ce qu’elle ne puisse pas être portée par le vent et faire du bruit. Parmi les œuvres singulières installées au rez-de-chaussée, on peut encore citer la vidéo Cremaster 2 (de 1999) de Matthew Barney, qui a créé dans son cycle filmique un univers imaginaire aussi fascinant que répulsif.

En montant l’escalier, on découvre un poème de Steven Shearer dédié au Luxembourg, inscrit en grands caractères sur le mur. Parmi les mots associés au Luxembourg, on remarque : « …odyssey in cold flesh rotten gaseous passage sodomythical christhunt exhausted angel corpse… » À chacun de juger si cette description « poétique » convient à sa propre vision du pays. Arrivé en haut de l’étage, le spectateur est accueilli par deux tableaux de Gregory Jacobsen, qui visualisent un univers aussi fantasmagorique et vulgaire que le poème de Shearer et qui dépeignent les humains comme des petits cochons roses lubrifiés.

Si l’absence de sensibilité artistique et de sens esthétique a fait place au cru et au rude chez un certain nombre d’artistes participants, elle se retrouve chez Banks Violette qui joue dans son installation Voidhanger (Twin Channel)/All Tomorrows Graves sur le noir et blanc, sur la froideur du matériau et sur les surfaces polies. Le sel déposé en tas peut agir à la fois comme référence à Robert Smithson et à sa théorie sur l’entropie, qu’il peut être interprété comme faisant allusion à la consommation de cocaïne par exemple. L’œuvre est accompagnée d’un son de basse fréquence, conçu en collaboration avec le musicien Ted Skjellum, assurant une expansion invisible de la sculpture dans l’espace. Elodie Lesourd met l’accent sur le côté négatif de la pensée de vie extrême du metal. Dans sa peinture Vargsmål qui dépeint le squelette d’une église, elle s’inspire d’une œuvre de Banks Violette (Untitled (Church) de 2005) qui à son tour repose sur les incendies d’églises en bois en Norvège et la mort de Øystein Aarseth dont le musicien black metal Varg Vikernes fut jugé coupable.

L’œuvre de Lesourd est importante dans le sens qu’elle dégage bien le caractère excessif du metal extrême, qui à certains niveaux peut devenir dangereux. Ce genre musical véhicule le plus souvent aussi un message politique radical. Les idées en question peuvent aller d’une orientation contre le mainstream et la consommation de masse aux thèmes plus obscurs comme la vénération de Satan et du mal et peuvent avoir une influence considérable non seulement sur les artistes, mais aussi sur l’individu en général.

Abstraction faite du choix des artistes et de la qualité artistique discutables, l’exposition au Casino manque de structure. Bien que les organisateurs l’aient divisée en trois parties, à savoir les influences du grindcore, du death metal et du black metal, ce regroupement ne ressort pas clairement de la répartition des œuvres d’art, d’autant plus que des œuvres d’un même artiste figurent dans plus d’une partie de l’exposition. Plus aléatoire qu’ordonné, le lien entre les œuvres se tissera davantage mentalement que visuellement.

L’exposition est ensuite un éloge des curateurs eux-mêmes et de leur « collectif ». Damien Deroubaix et Jérôme Lefèvre forment, avec les artistes Elodie Lesourd et Steven Shearer, le collectif C.S. (Conservative Shithead) et éditent un magazine du même nom. Les œuvres de ces trois artistes occupent en conséquence une place plus qu’importante dans l’ensemble de l’exposition. Si celle-ci atteint le but d’intéresser un public différent du public actuel au Casino, elle manque dans son ensemble de la créativité nécessaire pour satisfaire les habitués et les connaisseurs.

L’exposition Altars of Madness est à voir jusqu’au 15 septembre au Casino – Forum d’art contemporain, ouvert les lundis, mercredis et vendredis de 11 à 19 heures, les jeudis jusqu’à 20 heures et les samedis et dimanches de 11 à 18 heures ; plus d’informations : www.casino-luxembourg.lu.
Florence Thurmes
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