Industrie des fonds

Réguler pour développer

d'Lëtzebuerger Land vom 04.05.2012

Ordinairement, la réglementation des services financiers est plutôt vécue par les professionnels comme une contrainte, surtout quand elle tend à se renforcer comme c’est le cas depuis de début de la crise financière. Il n’est que de voir les réactions des banquiers et des assureurs face à l’application prochaine des nouvelles règles prudentielles (Bâle III et Solvabilité II) pour s’en convaincre.

Il est cependant un domaine d’activité où davantage de réglementation fait figure de facteur de développement, c’est la gestion d’actifs (asset management). C’est ce qui ressort d’un document publié mi-avril par le think tank bruxellois CEPS (Centre for European Policy Studies) en collaboration avec l’ECMI (European Capital Markets Institute). Intitulé Rethinking asset management, il se penche notamment sur l’évolution de la gestion collective en Europe.

Au niveau mondial, la gestion collective (par le truchement de fonds) pèse environ 44 pour cent du total des actifs sous gestion, évalués à 54 600 milliards de dollars à fin 2010, la majorité étant gérée dans le cadre de mandats de gestion individuels.

Avec environ 8 000 milliards de dollars, l’Europe représente un tiers du marché mondial. Mais l’activité, longtemps florissante (les actifs sous gestion en OPC ont été multipliés par 2,7 de 1998 à 2011) est aujourd’hui à la peine. Après le « trou d’air » de 2008, marqué par une baisse de 23 pour cent des encours en un an, l’industrie a du mal à retrouver ses niveaux antérieurs. En Europe, les actifs sous gestion ont diminué de trois pour cent en 2011, la baisse ayant été de 4,7 au Luxembourg (mais on note une légère remontée au premier trimestre 2012).

Indépendamment des conditions de marché difficiles, l’évolution récente pourrait s’expliquer par des insuffisances réglementaires. En effet, pour le CEPS, le succès de la gestion collective en Europe est largement issu de la création en 1985 du cadre réglementaire des UCITS (Undertakings for collective investment in transferable securities). Les fonds gérés sous ce régime représentaient fin 2011 quelque 5 600 milliards d’euros, soit 71 pour cent de la fortune des fonds européens.

Pour les auteurs du rapport CEPS-ECMI, ce cadre doit être renforcé mais aussi élargi. La réglementation des fonds UCITS, contenue dans les quatre directives votées depuis 1985 (la dernière, datant de janvier 2009, est entrée en application en 2011) s’est surtout focalisée sur la protection des investisseurs particuliers, en leur garantissant que les fonds dans lesquels ils placent leur argent sont bien diversifiés, bien gérés et suffisamment transparents pour pouvoir évaluer les risques pris.

Ces épargnants ne pèsent qu’un tiers environ des actifs sous gestion. Mais cette proportion n’inclut que la détention directe d’OPC et ne prend pas en compte les fonds figurant dans des « enveloppes fiscales », comme les contrats d’assurance-vie en unités de compte, très populaires en France, en Italie, au Royaume-Uni ou en Europe du Nord. Or, selon le CEPS, près de 40 pour cent de la collecte en UCITS en 2010 s’est faite par le truchement de contrats d’assurance-vie.

Le « prospectus simplifié » remis aux clients a longtemps été la clé de voûte du dispositif. Depuis le 1er juillet 2011, il a été remplacé par le DICI (document d’information clé pour l’investisseur), obligatoire pour tous les fonds créés depuis cette date, avec vocation à s’appliquer à tous les produits existants au terme d’une période de transition. Bien que plus court que l’ancien prospectus, il l’a renforcé sur plusieurs points importants comme l’information sur le couple risque-rendement.

Mais des progrès peuvent être encore faits pour améliorer la protection des investisseurs particuliers : indications sur les risques (opérationnel, de contrepartie et de liquidité), informations sur la qualité du conseil (indépendant ou non) et sur son coût. Ces améliorations ne seraient pas nécessairement apportées par des directives successives sur les fonds, mais éventuellement par d’autres voies comme la future MIFID II (sur les conditions de distribution).

De même, c’est dans le cadre de l’initiative PRIPs (Packaged Retail Investment Products) que la Commission proposera cette année d’étendre le DICI aux contrats d’assurance-vie en unités de comptes et aux produits bancaires structurés.

Depuis 2008, la recherche d’une protection accrue des investisseurs professionnels s’est ajoutée à la préoccupation initiale. C’est l’esprit de la directive AIFM (Alternative investment funds management) votée en juin 2011. Elle ne se limite pas aux hedge funds, mais porte aussi sur les fonds investis en sociétés non-cotées (private equity), les fonds immobiliers et les fonds de matières premières bref, sur une grande partie des fonds non-UCITS.

Selon l’étude CERS-ECMI, compte tenu de la convergence que l’on observe entre la gestion « traditionnelle » des UCITS et la gestion alternative (la première utilisant de plus en plus de produits et de techniques de la seconde pour doper la performance), la directive AIFM a vocation à s’appliquer à tous les gérants et doit être vue comme un cadre général pouvant à terme incorporer la réglementation UCITS. Le rapport souhaite en effet que l’on adopte à brève échéance un « instrument législatif unique » pour réglementer la gestion collective.

Georges Canto
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