Chronique Internet

At it again

d'Lëtzebuerger Land vom 03.08.2018

Il n’aura pas suffi que les méthodes des officines de manipulation de l’opinion publique et des élections opérant massivement sur les réseaux sociaux soient démasquées et dénoncées : il aurait aussi fallu en tirer les conclusions qui s’imposent. Facebook, théâtre principal de ces basses manœuvres lors de la dernière élection présidentielle américaine et du référendum sur le Brexit, a tiré la sonnette d’alarme cette semaine en indiquant avoir identifié sur son réseau 32 groupes factices qui se préparaient à remettre le couvert en vue des élections législatives du mois de novembre aux États-Unis. Ces groupes, qui, comme en 2016, cherchaient à polariser le débat politique en attisant les débats qui fâchent, à coups de propagation d’informations ciblées (souvent fausses, parfois vraies) et d’appels à la mobilisation, y compris en organisant des manifestations, ont été supprimés du réseau social, a indiqué Facebook. 

Si les cibles personnelles des interventions menées par des hackers ont en général été jusqu’ici des candidats démocrates, le modus operandi des officines est sensiblement différent lorsqu’elles cherchent à peser sur les grands débats sociétaux qui divisent la société américaine : elles n’hésitent pas dans ce cas à embrasser des causes diamétralement opposées, avec apparemment pour but, dans certains cas, de provoquer des affrontements physiques entre camps opposés, et de façon plus générale à semer la zizanie dans la société américaine comme fin en soi. 

Ainsi, les groupes factices s’intéressaient de près à une réédition de la manifestation néonazie de Charlottesville, au cours de laquelle une manifestante antifasciste avait été tuée, et au front de gauche qui se met en place pour la contrer, mais aussi à une campagne promouvant l’abolition de l’ICE (Immigration and Customs Enforcement Agency), décriée ces derniers mois en raison de son rôle majeur dans le traitement inhumain de migrants interceptés à la frontière et de ses razzias visant des résidents d’origine latino-américaine. L’objectif dans le premier cas semble être simplement de verser de l’huile sur le feu ; dans le second, il aurait pour but de diviser le camp démocrate, en fournissant aux Républicains l’occasion de décrire certains candidats comme voulant ouvrir en grand les frontières du pays. 

Facebook n’a pas officiellement cité la Russie comme origine de ces manipulations, mais sous couvert d’anonymat des représentants de l’entreprise ont précisé que les outils et les techniques utilisées par ces groupes étaient similaires à ceux d’Internet Research Agency, proche du Kremlin, dont l’intervention dans le scrutin de 2016 peut être considérée comme avérée. Facebook a précisé avoir détecté pour la première fois des activités de ce genre sur son réseau Instagram. Le groupe a aussi fait état d’une sophistication de ces opérations, en indiquant qu’elles avaient été plus difficiles à détecter cette fois-ci, avec des paiements effectués par des tiers (en 2016, certains avaient été faits en roubles) et des techniques de dissimulation avancées pour occulter les comptes et adresses Internet utilisés.

Ce que Mark Zuckerberg et ses lieutenants cherchent à faire comprendre aux autorités américaines, c’est que les opérations de manipulation des élections se poursuivent, aux États-Unis et ailleurs. À bon entendeur, salut : on peut s’attendre à de telles opérations également lors des élections pour le Parlement européen l’an prochain. Les fake news se sont à nouveau insolemment épanouies sur les réseaux sociaux lors des récentes élections mexicaines, et il y a fort à parier qu’il en soit de même lors du scrutin brésilien en octobre.

Facebook, qui a perdu environ 120 milliards de dollars de sa valeur la semaine dernière après avoir annoncé un ralentissement notoire de sa croissance, ouvre le parapluie sur le mode « on vous aura prévenus ». Mais ce que Facebook dit aussi, implicitement, c’est qu’il n’est pas vraiment en mesure de mettre le holà à ces opérations, coincé entre les attentes de ses actionnaires et des annonceurs d’une part et les habitudes quasi-addictives de ses utilisateurs de l’autre.

Jean Lasar
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