France

Les écolos surnagent

d'Lëtzebuerger Land vom 31.05.2019

Des élections européennes en France, on serait tenté de dire qu’il n’y a eu qu’un vainqueur, du moins vaudrait-il mieux écrire qu’il n’y a eu qu’un seul parti en progrès : les écologistes. Dans un paysage politique dont la recomposition est confirmée, la liste menée par l’eurodéputé sortant Yannick Jadot a su profiter des mobilisations pro-climat pour percer avec 13,5 pour cent des voix comme la troisième force du pays, et de loin.  

Malgré un regain notable de participation par rapport à 2014 (50,1 pour cent, +8 points), la droite traditionnelle Les Républicains (LR) comme la nouvelle gauche La France insoumise (LFI) font en effet de piètres scores (respectivement 8,5 et 6,3 pour cent) comparé à leurs ambitions proclamées, tandis que le PS reste scotché à son bas niveau de la présidentielle (6,2 pour cent). Et même les formations arrivées en tête, le Rassemblement national (RN, 23,3 pour cent) et La République en marche (LREM, 22,4 pour cent), auraient tort de se réjouir. L’extrême droite est en recul par rapport au scrutin européen de 2014, tandis que le président de la République qui jouait gros a perdu son pari : pour la première élection intermédiaire depuis son arrivée à l’Elysée, sa formation n’arrive qu’en deuxième position derrière celle de Marine Le Pen.

Le bilan électoral d’Emmanuel Macron est donc doublement mitigé. D’une part, il a échoué à se poser en rempart contre le nationalisme exacerbé dans l’Hexagone, et il va même s’allier au niveau européen avec Ciudadanos, qui gouverne l’Andalousie avec le soutien du parti d’extrême droite Vox et pourrait bientôt faire de même à Madrid. D’autre part, l’alliance libérale-centriste, bien qu’en forte progression au Parlement de Strasbourg avec 107 eurodéputés (contre 69 précédemment), ne sera pas l’unique groupe à pouvoir prétendre jouer le rôle de pivot entre les conservateurs du PPE et les sociaux-démocrates du PSE. Avec 70 eurodéputés, les Verts le revendiqueront aussi, affaiblissant d’autant l’influence potentielle de l’ALDE à forger des majorités.

Mais au-delà de son bilan de court terme, Macron poursuit une stratégie dangereuse. En résumant le paysage politique à son duel avec Marine Le Pen, le chef de l’Etat a « asséché la campagne », et en désignant le RN comme « seul adversaire de sa politique », il a contribué à en faire « la promotion », selon Mediapart. En d’autres termes, si le seul vote-sanction contre Macron est le bulletin d’extrême droite, celle-ci n’est pas près de refluer. De même en Europe, il n’a été question ces derniers mois que des Salvini, Orban, Le Pen et autres Bannon, qui ont fait l’objet d’un tapage médiatique invraisemblable. L’Europe est menacée par les populistes ? Une grande vague nationaliste va déferler au Parlement ? En définitive, les droites extrêmes n’ont gagné que seize députés et restent divisées en trois groupes. De même que le FN n’a absolument rien fait de sa victoire de 2014, elles ne joueront donc vraisemblablement aucun rôle dans la nouvelle Assemblée. Mais l’agitation de la peur et leur maintien à un niveau élevé sont bien utiles : c’est en quelque sorte « l’assurance-vie » des néolibéraux.

Reste donc la progression écolo, bienvenue contre les urgences que sont le réchauffement climatique, l’érosion de la biodiversité et les pollutions multiples (air, eaux, sols, aliments). Mais, là aussi, peut-on émettre un bémol ? À l’instar des jeunes manifestants de la « génération climat », surreprésentés chez les catégories socioprofessionnelles supérieures comme l’a montré une étude récente, les électeurs écolos sont plus cadres que prolos, plus urbains que ruraux. Europe Ecologie-Les Verts (EELV) est ainsi arrivé en deuxième position à Paris.     

Loin d’être réduite, la fracture politique, sociale, territoriale et médiatique pourrait donc encore s’élargir. « Où est le mouvement des gilets jaunes dans les urnes ? Nulle part. Cette distorsion spectaculaire montre qu’il y a un dysfonctionnement majeur dans notre démocratie », relève la philosophe Barbara Stiegler à Libération. À l’heure où les films primés à Cannes soulignent l’acuité des inégalités internes aux sociétés (Parasite de Bong Joon-ho) et des relégations territoriales (Les Misérables de Ladj Ly), il est permis de se demander quelle force politique va bien pouvoir vaincre ces misères de la mondialisation et redonner un horizon de progrès. Rien n’est réglé.

Emmanuel Defouloy
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