Enseignement privé

Mélange de genres

d'Lëtzebuerger Land du 11.05.2012

En exigeant des écoles privées qu’elles opérent sous la forme d’association sans but lucratif (asbl), le ministère de l’Éducation nationale n’avait sans doute pas imaginé un dévoiement du système par des opérateurs eux-mêmes, qui, en ouvrant des écoles adossées à des foyers scolaires à la fréquentation obligatoire, ont probablement davantage de visées lucratives que des objectifs pédagogiques. Neuf ans après la réforme ayant abouti à la loi du 13 juin 2003 réglant les relations entre les écoles privées et l’État luxembourgeois qui les subventionne partiellement, le fonctionnement de l’école Montessori à Strassen, avec ses trois sections d’enseignement précoce, maternel et primaire, et ses liens consanguins avec la société commerciale L’Enfant Roi, exploitant des crèches et des foyers éducatifs, interpelle autant les parents sur l’opacité de la structure mise en place qu’il fait se questionner les responsables du ministère de l’Éducation nationale et ceux du ministère de la Famille sur la conformité du dispositif en place.

Au ministère de l’Éducation, on s’étonne, entre autres, de ne pas avoir été informé des changements intervenus à la fin mars au niveau de la direction de cet établissement. Or, la loi de 2003 donne au ministère un droit de regard sur la cuisine interne des écoles privées, de leur financement aux qualifications professionnelles du personnel de direction et d’enseignement en passant par les contrats type d’enseignement conclus entre les élèves et leurs parents. « Ce n’est pas normal », constate Raymond Straus, premier conseiller au ministère de l’Éducation, sans toutefois trop s’en inquiéter.

Pour autant, cet incident apparaît comme un moindre mal face à d’autres « anomalies » repérées dans le fonctionnement de l’école Montessori, qui n’est d’ailleurs affiliée à aucune organisation Montessori de référence sur le plan international, bien qu’une réflexion de ses dirigeants soit en cours sur cette question d’affiliation. Parmi les autres « hérésies » constatées, au regard notamment de la philosophie « montessorienne » réputée ouverte, on relèvera le fait que l’exploitation de l’établissement privé en revient à une association sans but lucratif (c’est un préalable pour obtenir un agrément et toucher des subventions) plutôt atypique dans le secteur pédagogique. On ne trouve parmi ses fondateurs et ses adhérants qu’une seule famille noyautant l’asbl. Y apparaît aussi la sàrl L’Enfant Roi, lui appartenant complétement. L’association tourne ainsi en vase clos, ce qui pose sans doute certaines questions sur l’inspiration montessorienne dont elle se revendique : les parents ne sont pas admis à en devenir membres, pas plus que le corps enseignant ni d’ailleurs de représentants du ministère de l’Éducation nationale. Le contrôle pédagogique se fait, bien sûr, par des inspecteurs une fois par an. Le volet financier fait pour sa part l’objet de deux vérifications par an. Les parents souhaiteraient toutefois un droit de regard que tant les fondateurs que le ministère leur refusent.

La loi du 13 juin 2003 ne prévoit aucune disposition ni obligations d’intégrer les parents d’élèves dans les structures des asbl exploitant les écoles privées, sauf pour l’enseignement pos-primaire. C’est une des curiosités de la loi. Toujours est-il que, dans le souci de transparence, presque toutes les écoles privées au Luxembourg, de l’International School à Saint Georges, en passant par l’École française ou la Waldorf, ont placé les parents au cœur du dispositif et les associent directement à la vie de l’école. C’est d’autant plus important, qu’outre le contrôle qu’ils exercent sur le programme pédagogique, ils ont aussi une vue sur les finances de l’association et l’usage qui est fait des fonds publics et des leurs, sans lesquels probablement les écoles ne pourraient pas fonctionner, et les rémunérations des dirigeants et du corps enseignant.

À l’école Maria Montessori, les fondateurs de l’asbl refusent obstinément leurs cartes de membres aux parents qui en font la demande. Interrogée par le Land sur le caractère fermé de l’association et sa justification philosophique, la directrice de l’école renvoie à l’existence parallèle de deux autres associations, mais complètement déconnectées de l’exploitation de l’établissement, dont l’une est l’asbl des parents et anciens parents de l’école Montessori, qui a été mise sur pied précisément en réaction à l’opacité de l’asbl École Maria Montessori, dont ils sont exclus.

À sa constitution en 2008, cette asbl exploitant l’école affichait quatre membres personnes physiques, dont on cernait mal à l’époque le bagage et l’expérience pédagogiques, normalement requis pour gérer une école : deux employés privés, qui avaient auparavant fait des affaires dans le commerce des dragées avant d’embrasser celui des crèches, et deux étudiants. Le ministère de l’Éducation a donné son agrément à l’affaire familiale en 2009 sur la base de ces curriculum vitae que l’on peut, avec le recul, considérer comme un peu légers pour exploiter une école accueillant des enfants jusqu’à douze ans, fut-elle privée.

L’hérésie n’est toutefois pas ici, qui fait douter du caractère supposé non-lucratif de l’exploitation d’une école. Elle est à chercher dans le lien contractuel faisant dépendre l’inscription à l’école Montessori à la fréquentation en parallèle des crèches et foyers gérés par la sàrl L’Enfant Roi. Au nom de la pédagogie Maria Montessori, les contrats d’inscription des enfants rendent « indissociables » la fréquentation des deux structures. En aval, pour pouvoir inscrire son enfant à l’école, il est indispensable qu’il ait au préalable fréquenté une des crèches exploitées par L’Enfant Roi, établissements éligibles au titre des chèques services et donc des subventions publiques.

Le ministère de la Famille, qui gère les chèques services et a initié depuis peu une chasse aux abus en tout genre que le système a générés, y voit lui aussi une hérésie. La Cour des comptes s’apprête à rendre un rapport sur le fonctionnement des écoles privées au Luxembourg, qui devrait lancer le débat au niveau politique sur une réforme de la loi de 2003 et l’assainissement d’un système sentant le souffre.

Véronique Poujol
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