Réforme des devoirs à domicile

Zilenz!

d'Lëtzebuerger Land vom 05.05.2005

Dorénavant, ce sera les devoirs tout court – et non plus les devoirs à domicile. La ministre Mady Delvaux l'avait annoncé dès la rentrée: les travaux à domicile seront réformés pour enlever ce poids qui pèse sur les enfants. Approchée par maints parents qui se plaignaient de passer une grande partie de leur temps libre à étudier et à répéter des matières, elle prit la décision de dispenser les plus petits de tout devoir à domicile, de les limiter à deux heures par semaine pour les moyens de la troisième et quatrième année d'études et à quatre heures hebdomadaires pour les plus grands jusqu'en sixième année primaire. Les week-ends et les vacances seront exempts de travaux. Elle motive cette décision par le fait que les devoirs à domicile sont – plus qu'un apport d'approfondissement bénéfique pour les enfants – davantage un facteur de renforcement des disparités sociales selon les familles dont les parents sont capables et disponibles à aider leurs petits et ceux qui ne connaissent pas les exigences du système scolaire trilingue luxembourgeois ou qui travaillent à temps plein. S'y ajoute le nombre d'enfants d'une famille ; deux ou trois et la soirée est comblée. Un troisième argument avancé con¬cerne les maigres résultats malgré les efforts réalisés en-dehors des cours. Car, selon la ministre qui se réfère à des études internationales concernant l'influence des devoirs à domicile sur les résultats scolaires, la quantité n'est pas en relation avec la qualité de l'apprentissage. Bosser à la maison ne garantit pas le succès – du moins dans les classes de l'enseignement primaire. Quoi qu'en disent les adeptes de la tradition. L'annonce dans la lettre circulaire de printemps de la ministre n'est pas une nouvelle, comme le débat avait été lancé en automne. Personne ne peut donc invoquer la surprise, même si certains gémissent de ne pas avoir été consultés. C'est reparti aussi pour la discussion autour du nivellement vers le bas. Or, la ministre avait annoncé qu'elle voulait surtout éviter qu'une partie des programmes scolaires soient délocalisés vers le domicile, des enseignants qui n'arrivent pas à gérer le temps disponible en classe pour évacuer toutes les matières auraient tendance à combler les lacunes par des devoirs à domicile. Mais le problème des programmes surchargés est bien réel et un groupe de travail est en train de vérifier comment lâcher du lest sans perdre en qualité. À cette discussion est lié le débat sur les socles de compétence – une sorte d'unité de mesure permettant de vérifier si l'élève est assez mûr pour passer d'un niveau à l'autre – qui prendront sans doute encore plus de temps avant d'être élaborés, car ils supposent aussi des instruments de mesure et des tests fiables. Apprendre à apprendre de façon autonome est la pierre angulaire de la réforme des devoirs à domicile. C'est la tâche principale des enseignants du cycle inférieur, pour habituer les petits à faire ensuite des efforts sans devoir être constamment contrôlés et soutenus par leurs parents. Mady Delvaux parle de « souplesse » dans l'organisation de l'enseignement, ce qui veut dire que le personnel doit prêter plus d'attention au rythme de l'enfant. Par contre, si l'on considère que certains élèves ont d'énormes lacunes lorsqu'ils commencent l'école, on se demande comment adapter l'école à leur rythme sans les faire redoubler. Ce qui relance la spirale de l'échec et n'apporte rien à la motivation de l'enfant ou à son plaisir d'apprendre. C'est la raison pour laquelle Mady Delvaux préconise la journée continue – elle compte l'introduire au niveau post-primaire par la création du lycée-pilote – qu'elle souhaite lancer d'abord au niveau communal. Une vingtaine de localités assurent d'ores et déjà un service d'aide aux devoirs et la ministre invite les autres aussi à organiser un tel encadrement, non seulement un accueil des enfants en-dehors des heures de classe, mais de prendre encore des mesures « favorisant la réussite scolaire à savoir l'aide et l'accompagnement des travaux à domicile ainsi que des activités d'approfondissement ». L'État en assure la moitié des frais générés et le ministère de la Famille reprendra la tutelle de ces services. D'ailleurs, la ministre Marie-Josée Jacobs est sur le point de finaliser le concept de maison-relais qui englobe toutes ces activités parascolaires et assure une prise en charge continue des enfants. Car, comme le répète toujours Monique Adam du syndicat des enseignants SEW : « On peut se lamenter que les parents n'assument pas leurs responsabilités, mais cela ne change rien. » Les discours anachroniques sur la situation d'antan, quand les mères restaient au foyer et que les couples ne divorçaient pas sont dépassés. Et les disputes sur la répartition des tâches éducatives entre parents et enseignants n'ont mené à rien sinon à renforcer les a prioris négatifs de part et d'autre – les enfants demeurent les seuls perdants. Il est certain que les parents les plus ambitieux vont continuer à faire travailler leurs enfants et leur payer des cours d'appui onéreux. Ceux qui ne s'y intéressent guère auront encore moins de pression sans l'exigence de l'école de faire des devoirs à domicile. Dans ce sens-là, abolir les devoirs à domicile peut donner un mauvais signal aux parents négligents. Mais les institutions peuvent-elles pour autant abandonner l'enfant ? La ministre souhaite renforcer le lien avec les parents. C'est aussi un moyen pour éviter cette dérive et le désintérêt total. D'un autre côté, elle souhaite aussi contrecarrer « une attitude trop directive des parents en ce qui concerne la surveillance, le contrôle et l'aide aux travaux à la maison (qui) mène souvent à des conflits, surtout lorsqu'il s'agit d'élèves faibles. » Le ministère élabore aussi un carnet de liaison entre les parents et l'enseignant avec lequel il sera possible de communiquer et de suivre l'évolution de l'élève. La ministre rappelle d'ailleurs dans sa circulaire que les enseignants doivent adapter les rendez-vous avec les parents aux horaires de ceux-ci et non l'inverse. La déresponsabilisation de parents est un risque réel, mais il est évitable. Le service Kannernascht de l'Asti en a fait l'expérience. Après vingt ans d'activités dans ce domaine, il a parcouru toutes les étapes et évolutions sociales. Il accueille soixante enfants toutes nationalités confondues des quartiers d'Eich, Weimerskirch et Mühlenbach. Une cinquantaine sont en classes primaires et y sont encadrés pendant les travaux à domicile. C'est ce qui différencie cette structure des autres services de garde. « Avec le temps, nous avons remarqué que certains parents ne s'intéressaient plus aux efforts ou résultats scolaires de leurs enfants, raconte la responsable Yolande Antony, ils considéraient que c'était notre job et nous tenaient responsables des échecs de leur enfant. Pour éviter cette dérive, nous avons élaboré un système de contrats qui est pris très au sérieux parce que c'est un engagement noir sur blanc. » Le service conclut des contrats avec les parents et avec les enfants, toujours selon leurs besoins et capacités spécifiques. « Pour certains parents, c'est déjà un effort que de contrôler chaque jour le journal de classe de leurs enfants alors que pour d'autres, c'est normal de le faire, ajoute Yolande Antony. Pour les uns, il faudra inscrire ce détail dans le contrat. » Les enfants s'engagent à faire des efforts et apporter une volonté de motivation. Il est clair que cette motivation est intimement liée à l'écho et l'encouragement de leurs proches. Un des principes d'apprentissage du Kannernascht est l'autonomie, telle qu'elle est aussi préconisée par la ministre. Et lorsqu'il n'y a pas de devoirs à faire, il reste une quantité de jeux et d'activités éducatifs qui donnent l'occasion d'appliquer en pratique la théorie apprise pendant les cours. Mais une des exigences essentielles reste le lien avec les enseignants, comme le souligne la responsable : « Dans ces quartiers, les enseignants sont très motivés et il y a très peu de fluctuations dans les équipes, ce qui est très important pour maintenir une communication étroite. Grosso modo, on ne peut pas prétendre qu'ils donnent trop de devoirs, il y en a même qui en donnent très peu à faire. » Cette constatation vaut sans doute pour la majeure partie du corps enseignant luxembourgeois. Vu de l'extérieur, il est de toute manière étonnant qu'ils doivent être guidés à ce point-là, qu'ils reçoivent tant de consignes précises pour exercer un métier qu'ils ont pourtant choisi. Pour lequel ils ont été formés et pour lequel ils devraient avoir assez de connaissances et de compétences, sinon de l'expérience, pour adapter eux-mêmes les travaux à domicile aux profils de leurs élèves. Cette mise sous tutelle n'est pas très motivante en elle-même et contribue aussi à déresponsabiliser l'enseignant qui pourra toujours se retrancher derrière les consignes. Il est difficile de s'imaginer un enseignant transmettre les principes de l'autonomie, de la responsabilité et de l'envie d'apprendre s'il a toujours l'impression d'avoir pieds et poings liés. Ce qui n'empêche pas une remise en question de la voie traditionnelle et des sentiers battus de l'enseignement. Ils auraient sans doute à gagner s'ils participaient activement aux réformes annoncées, plutôt que de les subir et de se considérer toujours comme des victimes de changements imposés.

 

 

anne heniqui
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