Jean-Christophe Massinon

L’utopiste

d'Lëtzebuerger Land du 10.06.2010

C’est par un Non que Jean-Christophe Massinon s’est fait connaître. C’était en 2002, Jean-Marie Le Pen était au deuxième tour des élections présidentielles françaises. Choqué comme nombre de ses compatriotes par cette avancée du Front national, l’artiste et designer produisait alors des autocollants avec un simple « Non » dessus. Où le O bien rond du centre portait une mèche plaquée sur le front et un carré en guise de moustache hitlérienne. Non au FN, le message était on ne peut plus clair. Le sticker allait être de toutes les manifestations et fit le tour des médias français. Et il valut au Messin un appel de Marie-Claude Beaud, alors nouvelle directrice de ce qui allait devenir le Mudam, Musée d’art moderne au Luxembourg. S’ensuivirent plusieurs collaborations, comme la B-Rich Banque dans le chantier du bâtiment, ou le projet Eldorado, qui se déclina en plusieurs volets.

Mais le travail qui aura marqué le grand public, ce fut la campagne d’affichage Can’t wait pour l’inauguration du musée en 2006 : des personnages emblématiques, sans visages, exprimaient leur impatience dans des paysages symbolisés par quelques aplats de couleur. C’est la marque Massinon : toujours cette réduction à l’extrême, à quelques éléments graphiques – il ne veut pas être désigné comme graphiste, persuadé de ne pas en avoir les compétences techniques –, qui rendent un portrait universel. « Je veux montrer des clichés, dit-il. Je m’inspire de gens que je connais, puis cela peut devenir n’importe qui. » Et : « Je pense qu’il y a plus de choses qui nous rapprochent que de choses qui nous différencient. Un visage abstrait est universel, tout le monde peut s’y reconnaître ou reconnaître quelqu’un de son entourage. Mais si j’y mets un nez, des yeux, une bouche, cela devient quelqu’un d’étranger. » Pourtant, ses François Biltgen, Jacques Santer, IM Pei ou Marie-Claude Beaud, on les distingue de suite, à la posture, la barbe, la tenue, le contexte...

Puis, après quelques expositions en galerie (chez Stéphane Ackermann, à l’agence Borderline...) ou dans l’espace public (dans le jardin de Dexia-Bil, pour son projet d’art public Stardust qui orne la façade du Lycée technique d’Esch-sur-Alzette), il disparut peu à peu du Luxembourg. Désormais, Jean-Christophe Massinon, installé à Nancy, allait se concentrer davantage sur la Lorraine, où il travaille beaucoup avec Octave Cowbell, une galerie associative à Metz, notamment pour l’organisation de la Nuit blanche. Et puis le revoilà, à Luxembourg, à un endroit inattendu qu’est la galerie Michel Miltgen, rue Beaumont, avec un deuxième espace d’exposition dans le showroom de Bürotrend rue Aldringen (jusqu’à ce soir). Des lieux pas forcément marqués « art contemporain superpointu », mais les toiles hautes en couleur et les sculptures en noir et blanc disproportionnées ont une force visuelle suffisante pour exister dans la concurrence esthétique qui les entoure (meubles design ou présentation approximative). Les travaux de Jean-Christophe Massinon que l’on peut y voir sont surtout issus de la série Earthquake in Wonderland : des icônes du capitalisme, comme la Bourse de Paris, déconstruites, des leaders politiques et leur appareil du pouvoir ridiculisés avec peu de moyens... la série, entamée un an avant la crise économique, pourrait en être l’emblème.

Jean-Christophe Massinon est un réducteur, dans le bon sens du terme. Ses pictogrammes comme ses gri-gris folkloriques, ses grandes toiles colorées comme ses sculptures très pop, ses actions publiques comme des soldes d’art ou sa militance font de lui un artiste du moment, qui réponde à cette nouvelle modestie et à l’urgence face à la crise. Un acteur politique aussi : « On ne peut pas dire que je sois de gauche ou de droite, mais je milite pour des choses de base, par exemple pour rendre les relations plus humaines. Mes dessins partent du même principe : ramener les choses à l’essentiel. » L’œuvre qu’il a réalisée suite à une commande du Centre Pompidou Metz pour son ouverture est significative de cette approche : avec sa Salle des pendus au foyer du studio, il tire sa révérence au passé industriel de la région lorraine. Les chaînes, crochets et paniers des vestiaires des mines sont ici réduits jusqu’à l’abstraction et utilisés en éléments sériels d’un papier-peint. Jean-Christophe Massinon a par là aussi rendu hommage à ses propres ancêtres, ouvriers dans le Nord. Jusqu’à son père, qui fut ingénieur dans le textile. « Mon père m’a toujours dit qu’il n’était pas pour la réussite sociale, mais pour la réussite personnelle, que ça me rende heureux. L’art m’a permis de concilier les deux. »

josée hansen
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