Cinémasteak

Premier envol

d'Lëtzebuerger Land du 13.03.2020

En marge de l’industrie hollywoodienne, un mouvement de cinéastes indépendants s’est constitué à New York sous le nom de mumblecore. Soit de modestes productions, le plus souvent tournées à l’aide de caméras numériques et interprétées par de jeunes acteurs non-professionnels. L’une des personnalités les plus talentueuses ayant émergé de ce mouvement est assurément l’actrice Greta Gerwig. Après de premiers rôles confidentiels dans Lol (2006) et Hanna Takes the Stairs (2007) de Joe Swanberg, avec lequel elle coécrit le scénario, elle est révélée par Noam Baumbach, dont elle est depuis la compagne et l’égérie, dans deux films superbes : Greenberg (2010) tout d’abord, et surtout Frances Ha (2012), qui la rendit enfin célèbre du grand public. Un titre qui fait malicieusement référence au film fondateur de ce mouvement, Funny Ha Ha (2002) d’Andrew Bujalski, et une histoire qui rendait hommage à une génération condamnée aux petits boulots, maintenue dans la mobilité et la précarité permanentes d’une société uberisée. Également réalisatrice depuis 2008 (Nights and Weekends), Greta Gerwig a récemment présenté aux Oscars son dernier long-métrage Little Women (2020), nominé dans la catégorie du meilleur film.

La Cinémathèque de la Ville de Luxembourg projette cette semaine le deuxième long-métrage de Greta Gerwig, le méconnu Lady Bird (2017), lauréat du Golden Globe 2018 pour la meilleure comédie. Dans ce film personnel, la réalisatrice revient sur les pas de son enfance à travers le portrait touchant d’une adolescente originaire, comme elle, de Sacramento. Une citation de Joan Didion, la romancière la plus célèbre de la ville, vient aussitôt dissiper les clichés sur la Californie : « Quiconque parle d’hédonisme californien n’a jamais passé Noël à Sacramento », peut-on lire en ouverture. L’ennui, le désœuvrement, guettent la jeunesse de la cité californienne. Celle qui se surnomme « Lady Bird » (Saoirse Ronan) le sait bien, elle dont les rêves dépassent les possibilités financières de ses parents – sa mère est infirmière et son père vient d’être licencié. La jeune fille souhaite en effet étudier les arts à New York, où elle veut « vivre pour quelque chose », comme elle le dit à sa mère à l’issue d’une lecture émue des Raisins de la colère de Steinbeck. Difficile de ne pas voir dans ce désir impétueux, dans ce déplacement vers l’East Coast, un désaveu du cinéma hollywoodien, modèle contre lequel se positionneront les membres du mumblecore.

Autre figure tutélaire inattendue de l’auteure, aux côtés de Joan Didion et John Steinbeck, c’est L’Enfance nue (1969), le premier long-métrage de Maurice Pialat. C’est ainsi que se nomme le groupe de musique de Kyle, le petit ami de Lady Bird interprété par Timothée Chalamet, acteur que l’on retrouvera aux côtés de Saoirse Ronan dans Little Women. De Pialat, l’univers de Lady Bird est en effet le plus proche : pour sa façon délicate de montrer la sortie de l’enfance (L’Enfance nue), de capter les fragilités adolescentes, la complicité d’un père et de sa fille ou encore les premières désillusions amoureuses (À nos amours, 1983). Il faut passer par de tels déchirements pour prendre son envol.

Lady Bird de Greta Gerwig (USA, 2017, vostf, 94 mn.) sera projeté le mercredi 18 mars à 18h30 à la Cinémathèque de la Ville de Luxembourg, place du Théâtre.

Loïc Millot
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