Saison théâtrale 2015-2016

L’ère des femmes

d'Lëtzebuerger Land du 04.09.2015

L’avenir du théâtre luxembourgeois, non, son présent, passe par les femmes : metteuses en scène, auteures, actrices, elles jouent un rôle croissant sur les planches autochtones, prenant la relève de plusieurs générations dominées par les hommes. Après les réseaux constitués autour des débuts du Tol, du Centaure, du Casemates ou du Théâtre national – avec Marc Olinger, Philippe Noesen, Tun Deutsch, ou Frank Hoffmann –, voici venir le théâtre 2015, où de jeunes metteuses en scène marchent dans les pas de pionnières comme Marja-Leena Junker : Myriam Muller, Anne Simon, Carole Lorang, Désirée Nosbusch ou encore Marion Rothhaar. Non que ces femmes soient particulièrement agressives dans leur volonté de réussir. Au contraire : Il semblerait plutôt que dans le génération actuelle, il n’y ait plus guère de jeunes hommes voulant changer le monde en mettant en scène des textes (à part, peut-être, Jerôme Konen ou Tom Dockal).

Cette impression se confirme en lisant le programme de la saison 2015-2016 des Théâtres de la Ville, rayon (co)productions nationales. Sur 27 pièces de théâtre programmées, une bonne dizaine peut être considérée comme création locale ou coproduction avec un apport luxembourgeois essentiel (non seulement en argent, mais aussi en créatifs de tous bords). La saison commence le 29 septembre au Grand Théâtre, avec l’adaptation, par Myriam Muller, du Dom Juan de Molière. Son partenaire Jules Werner y incarne le rôle-titre, accompagné d’une dizaine de comparses, distribution dans laquelle on se réjouit de retrouver plusieurs femmes dans des rôles d’hommes : Marja-Leena Junker en Dom Louis ou Renelde Pierlot en Gusman. Ce sera aussi l’occasion de retrouver Caty Baccega, Fabio Godinho ou Frank Sasonoff. Myriam Muller voit en Dom Juan, créé en 1665, le « premier martyre de la laïcité », un homme qui transgresse tous les codes et défie Dieu, « le seul rival à sa (dé)mesure » (programme).

In bin wie ihr, ich liebe Äpfel, la deuxième production de la saison (première : le 13 octobre), se base entièrement sur des femmes fortes : écrite en 2013 par Theresia Walser, une des meilleures auteures contemporaines allemandes dont nous avions pu apprécier King Kongs Töchter dans une mise en scène d’Andreas Baesler il y a une quinzaine d’années au Capucins. La pièce raconte l’histoire de trois épouses de dictateurs dont la vie est en voie d’être être adaptée à l’écran. Heike M. Goetze, jeune metteure en scène (37 ans) allemande, monte la pièce, qu’on recommandera plus particulièrement pour la présence dans un des rôles principaux de Catherine Janke, qu’on avait vue excellente aux côtés de Steve Karier, dans Blackbird, en 2014. Ce sera la première coproduction avec le Staatstheater Mainz, avec lequel Tom Leick-Burns, le nouveau directeur des Théâtres de la Ville, entame une collaboration plus étroite.

Suivra Victor F, une adaptation du Frankenstein de Mary Shelley, dont on aurait écrit « encore ? » (après celle de Claude Mangen au Théatre d’Esch) si elle n’était signée par le Français Laurent Gutmann, dont la mise en scène du Prince de Machiavel, créée début 2014 au Capucins, était une des productions les plus réussies des dernières années au Luxembourg. La pièce a été jouée des centaines de fois et tourne toujours d’ailleurs. Pour Victor F., qui sera monté en octobre à Belfort et jouée à la mi-novembre au Grand Théâtre, le Luxembourg sera représenté par Serge Wolff et Luc Schiltz.

Retour aux femmes ensuite, pour la découverte d’une auteure peu connue au Luxembourg, Rebekka Kricheldorf (Allemande, née en 1974), dont Laura Schroeder montera Das Ding aus dem Meer, une comédie écrite en 2009, qui raconte l’histoire d’une fin de fête sur un bateau de plaisance et les relations entre les hôtes restants, un rien éméchés. Si Laura Schroeder est surtout connue comme cinéaste (Schatzritter, 2012), elle avait fait ses premiers pas au théâtre avec Tati Revisited, en 2009 au Théâtre national, avec, à l’époque, une approche très cinématographique de la scène. Ici, elle travaillera avec Peggy Wurth pour la scénographie et les costumes et Sabine Vitua, Désirée Nosbusch et Anouk Wagner dans la distribution. Luc Feit sera le seul homme de cette production (première : le 8 janvier 2016 au Capucins).

Aussi en janvier, Charles Muller, le directeur du Théâtre d’Esch (dont le Grand Théâtre accueillera la mise en scène du Beckett en luxembourgeois par Guy Wagner, Waarden op de Godot, quelques jours plus tôt), montera une pièce d’une auteure luxembourgeoise, Nathalie Ronvaux. La vérité m’appartient avait remporté le Concours national de littérature en 2013, et on est curieux d’en découvrir la version scénique (après avoir apprécié la plume de Nathalie Ronvaux dans des pièces plus courtes, par exemple au Casemates). Sur scène à nouveau deux femmes fortes, qui s’accusent mutuellement d’actes antipatriotiques durant la Seconde Guerre mondiale : Myriam Muller et Colette Kieffer, accompagnées ici par Jacques Bourgaux et Jérôme Varanfrain.

On en sait beaucoup moins encore sur La légèreté française de Nicolas Bréhal, que mettra en scène Françoise Petit-Balmer en mars 2016 au Capucins, sinon qu’il s’agit d’un dialogue imaginaire entre Marie-Antoinette et Élisabeth Vigée-Lebrun, sa portraitiste, en été 1783, et qu’on aura le plaisir d’y retrouver Valérie Bodson. Un mois plus tard, changement de décor, d’époque, de style et de tempo avec la mise en scène, par Anne Simon, de All the New People, une comédie complètement dans l’air du temps sur la génération Y, constamment entre fête et suicide, écrite par l’Américain Zach Braff, surtout connu comme acteur dans la série Scrubs. Qui de mieux qu’Anne Simon pour exprimer le Weltschmerz de sa génération ? Elle fait jouer entre autres Isaac Bush (avec qui elle coécrit Trail of Crumbs, la saison dernière au TNL), Larisa Faber, Jules Werner et Daron Yates (première le 14 avril 2016).

Côté luxembourgeois, il faut aussi souligner la venue d’André Jung dans le Karamasow de Dostoïevski dans l’adaptation de Thorsten Lensing, production acclamée en Allemagne (les 4 et 5 février 2016), la reprise du Messias de Patrick Barlow avec André Jung et sa fille Marie (en décembre, comme toujours) et de Marie Jung seule dans Ophelia d’après Shakespeare, dans la mise en scène de Kristof Van Boven aux Münchner Kammerspiele (les 18 et 19 février 2016), où Marie Jung était engagée avant de rejoindre le Thalia Theater à Hambourg cette saison.

Conscient qu’un des rôles des Théâtres de la Ville est de soutenir la création autochtone, Tom Leick-Burns lance en outre une nouvelle expérience en fin de saison, vers juin 2016 : TalentLab sera un laboratoire aux allures de festival, qui encouragera des jeunes talents en leur laissant les planches et en leur offrant un encadrement professionnel – ce qui peut être un réel vecteur de renouvellement d’une scène autochtone sur le retour. Davantage de détails seront annoncés début 2016.

Programme et détails : www.theatres.lu.
josée hansen
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