Salut, de #Kmio hei

d'Lëtzebuerger Land du 10.08.2018

« On s’est de tout temps méfié des visages, des mythes aux religions, en passant par l’invention de la photographie, car ils offrent la possibilité pour les anonymes de se singulariser et ainsi de s’élever contre les instances du pouvoir », explique la critique d’art et commissaire d’exposition Marion Zilio dans une interview sur la manie contemporaine des selfies, parue dans Libération le 7 juillet. Et de citer Hannah Arendt, selon laquelle « l’espace politique est d’abord un espace des apparences et du paraître ». Tentons d’appliquer ces grandes théories philosophiques à la basse actualité politique autochtone, pour le quatrième article de notre série consacrée à la sémiologie de la campagne électorale pour les législatives d’octobre sur Instagram : Christian Kmiotek, président des Verts.

Dirigeant du parti depuis cinq ans, qu’on dit intransigeant, seul maître à bord depuis la démission de la coprésidente Françoise Folmer en juin dernier, Christian Kmiotek est dans la vraie vie quelqu’un de plutôt réservé. Sa présence sur les réseaux sociaux est d’autant plus étonnante qu’il y donne à voir une personne très communicative. Certes, sur Twitter (@KmiotekC), où il est inscrit depuis 2012 et où il a quelque 1 400 abonnés, il s’afffiche plutôt politique, avec des liens vers des articles sur les mérites des Verts au gouvernement, le climat, la nature – rien que du très banal. Mais c’est sur Instagram que Docteur Jeckyll devient Mister Hyde, que Christian Kmiotek nous en dit bien plus sur sa vie que l’on en demandait. Qu’il aime le whisky par exemple, mange des soupes vertes, est invité chez l’ambassadeur britannique avec son épouse Anna, assiste à des réunions du conseil communal local, va chez le dentiste (le 3 juillet) ou donne du sang (le 3 août). Bon, sur le sang, le message politique peut encore être utile : donner du sang, c’est sauver des vies. Mais le message du whisky ?

Or, tout en voulant se montrer proche de son électorat en étant communicatif, et contrairement à des politiciens extrovertis comme le Premier ministre Xavier Bettel (DP) ou le vice-Premier ministre Etienne Schneider (LSAP), qui aiment à se mettre médiatiquement en scène dans toutes les situations de la vie, voire aux millennials, qui ont grandi avec internet, Christian Kmiotek, 58 ans, semble devoir se faire violence pour le passage obligé du selfie. C’est pourquoi le cofondateur de Samsa Films (où il supervisait les finances jusqu’en 2012) a recours à une astuce : les selfies filmés. Ils commencent tous par « Christian Kmiotek hei, salut, de Kmio ! » – ce qui fait très toc toc me voilà ! comme au théâtre (de vaudeville), qu’il pratiqua aussi comme acteur jadis. Ces vidéos sont cadrées très serrées sur son visage, laissant transparaître quelques bribes d’un arrière-fond évocateur (la nature, la mairie de Junglinster, où il siège comme conseiller écolo…) et bougent vraiment beaucoup (il semble se filmer lui-même à mains libres, ce qu’aucun téléphone portable n’arrive à stabiliser). Et on ne peut s’empêcher de penser à l’inénarrable John Goodman, tellement celui qui accompagne ses photos du hashtag #Kmio met en avant son menton en parlant, et a toujours un petit sourire en coin.

Ce #Kmio se dévoile encore un peu plus sur son site Kmiotek.lu, dans la rubrique Me, myself and I : formation initiale dans le social (comme éducateur), double parcours en culture et en social, chargé de cours au Lycée technique pour professions éducatives et sociales, expert en administration et finances dans le secteur culturel, ancien acteur, ancien de chez Samsa, homme de pouvoir aussi (au-delà des Verts, il est aussi président du Kannerschlass, vice-président de la Kulturfabrik et de l’Apemh…)

Or. ce qu’il tait, c’est qu’il vient de la scène autogérée et contestataire d’Esch-sur-Alzette, des jeunes de la gauche (radicale) qui occupa l’ancien abattoir dans les années 1980 afin de la récupérer pour la culture. Aujourd’hui, #Kmio aime la vie rangée, comme le sont les jardins dans lesquels il se met en scène, et est devenu un patriote avéré – c’est bien sous sa présidence que le parti fait campagne avec un slogan du repli, « Well mir eist Land gär hunn » (parce que nous aimons notre pays). La veille de la fête nationale, le 22 juin, il adressa un message festif et inclusif à ses 300 abonnés sur Instagram, avec la devise « E Fest fir eis all » et devant les deux drapeaux, luxembourgeois et européen – comme le grand-duc et le Premier ministre. À l’image de ses co-candidats – qu’il montre en formation, en conférence de presse, en réunions avec toutes sortes de lobbies –, Christian Kmiotek cherche la reconnaissance numérique, la publicité, qui, rappelle Marion Zilio, est littéralement « l’action de se rendre public ». Car, dit-elle, « la responsabilité politique de chacun est avant tout esthétique et doit pouvoir faire l’objet d’une appropriation ». Sur ces deux points-là, il y a de la marge chez #Kmio. L’esthétique pourrait être améliorée et pour ce qui est de l’appropriation : ses images ne dépassent jamais la dizaine de mentions « j’aime ».

josée hansen
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