Projet Rockhal au printemps 1999

Rock-populaire

d'Lëtzebuerger Land vom 18.03.1999

N'est-ce pas un projet rêvé pour Alex Bodry ? Ministre de la Jeunesse, il était en charge de la planification de la salle qui devrait, semble-t-il, surtout plaire aux jeunes. Ministre de l'Aménagement du territoire et candidat aux élections législatives dans le circonscription du sud, le projet mise sur une décentralisation des infrastructures étatiques et redonne vie aux friches industrielles. Dans ce sens, il y a un consensus politique très large - de Juncker, jusqu'à Garcia - quant au bien-fondé d'une telle entreprise. Pourtant, la future salle de rock a beaucoup de similitudes avec le Musée d'art moderne: on ne sait toujours pas comment remplir les lieux, comment les gérer. 

Le projet

Le document de travail Une salle de concerts pour jeunes,présenté en mars 1996 par le ministre de la Jeunesse, analysait la situation luxembourgeoise dans le domaine et ne pouvait que constater le manque cruel d'infrastructures qui répondent à la demande à la fois du public motivé par la venue, un an plus tôt, des Rolling Stones à Kirchberg et des professionnels de la musique pop-rock de mieux en mieux organisés. La guerre des sites plus ou moins dure, surtout à l'intérieur du parti socialiste (POSL), entre la lentille Terres Rouges et la salle des soufflantes à Belval fut définitivement décidée par le collège communal d'Esch-sur-Alzette en avril de l'année dernière au profit de Belval. 

L'étude de faisabilité sur les lieux fut alors également effectuée à cet endroit, les coûts furent estimés être beaucoup plus élevés, on parlait de 600 millions de francs. Le projet de loi déposé lundi dernier par le ministre des Travaux publics Robert Goebbels (POSL) et présenté vendredi dernier par Alex Bodry ne parle plus que d'une somme se situant en dessous de 300 millions - 273 millions pour être exact -, ce qui, forcément, semble une somme ridicule par rapport aux très grands travaux en cours. Cela aidera forcément à faire passer la pilule dans la Chambre des députés. 

Contrairement aux projets initiaux, la salle de concerts ne sera pas une « Box in the Box », mais une structure ouverte complètement flexible et modulable, autant au niveau de la capacité d'accueil des spectateurs qu'à celui des facilités techniques de la scène. Entre 1 250 personnes - uniquement assises au rez-de-chaussée - et 5 000 aficionados debout sur deux niveaux, parterre et gradins, pourront assister à un concert. 

Dans l'énorme salle des soufflantes datant de 1912, large de 70 mètres, longue de 160 mètres et haute de 23 mètres, subdivisée en deux espaces séparés par une travée centrale, seule une des deux halles, celle de 32 mètres de large, sera aménagée avec une scène modulaire et des installations tubulaires, adaptables aux besoins de chaque artiste. Derrière la scène se trouveront les loges des artistes, elle sera facilement accessible avec les camions. Seule la régie technique, surélevée, sera fixe. 

De l'autre côté du hall d'accueil se trouvera une deuxième salle multifonctionnelle, pour des installations telles qu'un bar ou pour organiser des événements de moindre envergure.

Le projet de loi, qui ne comporte que deux articles autorisant le gouvernement à construire une telle salle, reste assez vague quant aux détails. Par exemple, il n'est pas encore expressément prévu de faire installer des salles de répétitions si souvent revendiquées par les musiciens autochtones bien que l'espace serait assez vaste. Il s'agissait aussi de réduire les coûts de cette première phase. 

Le bureau d'architectes Beng (qui a également transformé le théâtre d'Esch) a eu comme mission de « concilier les exigences actuelles d'une salle de concert pour musique moderne et populaire avec les objectifs d'une démarche de conservation architecturale et culturelle ». Par conséquent, son intervention sera minimale, elle se limitera à l'assainissement - 35,6 millions de francs -, au réaménagement - 53 millions - et aux installations et équipements techniques. Il s'agit notamment de respecter les contraintes de sécurité et d'hygiène pour des événements de grande envergure, de faire installer des planchers chauffants et de réaliser un petit exploit acoustique dans une telle halle industrielle ouverte vers le haut. 

Pro

« Dee Konzertssall fir déi Jonk wäert realiséiert gin, » avait officiellement affirmé le Premier ministre Jean-Claude Juncker (PCS) dans sa Déclaration sur l'état de la Nation en mai 1997. Les organisateurs de concerts et les mélomanes la réclament depuis une vingtaine d'années. Les historiens et chercheurs spécialisés en patrimoine industriel issus de tout le spectre politique demandent une réaffectation des friches afin de leur redonner vie. Les socialistes en ont fait un sujet prioritaire dans leurs bastions du bassin minier. Les politiques sont en train de redécouvrir les jeunes et sont persuadés que la musique rock et populaire attirerait surtout ce public. Les travaux de préparation ont été effectués soigneusement et ne laissent aucun doute quant à la situation désastreuse dans le domaine, les concerts se jouant aujourd'hui sous des paniers de basket, sur des patinoires et autre pré vert.

De part sa taille et sa capacité d'accueil moyennes, la salle de concert devra s'intégrer entre la salle de la Kulturfabrik à Esch (700 places) ou la salle privée de Den Atelier (un millier de places) et le centre culturel et sportif « Taillibert » en voie de construction à Luxembourg-Kirchberg (9 000 places maximum). D'ailleurs le projet de loi note dans son exposé des motifs que « à défaut d'initiatives privées, il appartient aux pouvoirs publics de créer le cadre pour répondre aux besoins des jeunes dans ce domaine ».

Contra

S'il y a un large consensus politique quant à l'opportunité de construire une telle salle, cela n'est pas tout à fait le cas du côté des professionnels. Nombre de musiciens autochtones vont jusqu'à douter du besoin d'une telle salle - une discussion polémique avait été provoquée lors d'une table ronde organisée par le GréngeSpoun et le 100,7 l'année dernière - et craignent qu'ils seront exclus de la salle, qui serait uniquement vouée aux concerts de groupes internationalement connus. 

Certains critiques estiment que la salle sera trop petite, mais ce risque est moindre, comme le potentiel de public dans tout le bassin luxembourgo-franco-belge reste limité - surtout dans la durée - et que les très grands concerts, open air ou en salle, disparaissent un peu partout au profit de concerts plus intimistes à meilleure qualité acoustique. D'ailleurs Claude Gengler, responsable du dossier au ministère de la Jeunesse, ne cache pas que les concerts sont déficitaires et que pour rentabiliser les frais d'une telle salle, il faut alterner événements culturels et commerciaux. 

En même temps, la salle serait « condamnée au succès », car, première infrastructure à prendre possession des lieux, elle devrait valoriser le site et faire fonction d'aimant, attirant d'autres investisseurs, comme la société Utopolis, intéressée à y installer un cinéma multiplex. 

Or, il reste des problèmes essentiels à régler avant que les travaux puissent débuter: les négociations de vente des terrains et des bâtisses n'ont pas encore abouti. Lors de la conférence de presse de présentation du projet, Alex Bodry s'opposa clairement à ce qu'il appella la « tactique de salami » du sidérurgiste, qui aurait voulu vendre la salle des soufflantes 65 millions de francs à l'État. Or le gouvernement voudrait acheter la friche de Esch-Belval en entier, déduisant les frais d'assainissement du prix de vente. 

Une deuxième grande inconnue reste la gestion de cette future salle. Actuellement, la tendance serait plutôt d'opter pour un établissement public, qui pourrait concilier les besoins de flexibilité de la structure et la garantie de l'intérêt public. La salle pourrait alors par exemple être sous-louée à des organisateurs de concerts commerciaux. 

Dans sa proposition de loi présentée le 25 février dernier et devant porter création d'une Centrale culturelle Belval,qui serait membre fondateur du groupement d'intérêt économique Société de gestion de l'espace Belval,le député Robert Garcia (Déi Gréng) plaide lui aussi pour une gestion étatique. Mais pour lui, il serait plus rationnel de gérer tout l'espace socioculturel public par un seul et même établissement. 

En cela, il rejoint les propositions du groupe Linster, instauré par le ministère de la Culture, qui a défini ses idées sur la vocation des friches dans un papier intitulé Un centre national de culture industrielle à Esch-Belval (daté 12 janvier 1999) et y plaide également pour une structure unique. 

L'association de musiciens backline ! a toujours douté du bien-fondé d'une seule salle de concerts mais demande que soit réalisée une structure offrant des possibilités de formation, de répétition et même d'archivage et de recherche sur le rock. Et de citer en exemple la Laiterie à Strasbourg.

Or, tout se passe actuellement comme s'il fallait maintenant « faire quelque chose », faire voter le projet avant la dissolution du parlement, commencer les travaux aussi vite que possible et réfléchir ensuite à la gestion. Les frais de fonctionnement ne sont encore évalués nulle part. À voir les difficultés de la Kulturfabrik à s'assurer un budget suffisant pour atteindre sa vitesse de croisière, il est au moins permis d'avoir des doutes. 

josée hansen
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