Rock um Knuedler 2004

William the Conqueror

d'Lëtzebuerger Land du 08.07.2004

De toutes jeunes filles, cheveux ébouriffés teintés en rouge ou en bleu, complètement surexcitées, scandent: «Bo-lé-ro ! Bo-lé-ro !» André Mergenthaler prend une gorgée de bière en cannette et sourit, remet son casque et se lance. Deux, trois des notes en base rythmique, la monte en sample, rejoue dessus un deuxième motif, le re-sample, fait quelques manipulations des pieds sur l'arsenal de pédales reliées à son violoncelle, change la sonorité puis se lance dans la mélodie principale. Ainsi, il joue à lui tout seul sur la petite scène dressée sous la sculpture du fier Guillaume II devant un public de jeunes rockeux une des chansons les plus ringardes du répertoire classique - et le public adore! C'est aussi cela le Rock um Knuedler: des découvertes pour les uns, la conquête d'un nouveau public pour les autres.

Il faut dire qu'André Mergenthaler - que beaucoup disaient la révélation du jour dimanche dernier -, est toujours aussi phénoménal, véritablement allumé sur scène. Ainsi, quand tout seul, il faisait vrombir les basses de cet instrument jugé si sage (sauf par Apocalyptica) pour entonner l'éternel Smoke on the Water des Deep Purple, il en laissa plus d'un bouche bée. Son CD Cello Loops n'était visiblement pas encore arrivé à toutes les oreilles. 

Juste avant lui, une demi-heure plus tôt, sur la même scène, les très jeunes filles - plus deux garçons - de Couchgrass avaient mis le feu. Ce sont de telles surprises qui valent le détour par le Knuedler, même par temps de pluie.

Fondé en 2001, Couchgrass a sorti un premier CD impeccablement rock en début d'année, Motel Love. Couchgrass sont un peu le pendant de Myein, plus «masculins» (qui ont joué en ouverture du festival sur la grande scène). Porté par la très charismatique Amandine Klee, chanteuse, bassiste, guitariste et frontwoman déconneuse (qui fait un peu «chick on speed»), Couchgrass se situe quelque part entre Sonic Youth et PJ Harvey (dont ils reprennent d'ailleurs une belle version de She-na gig), tendance grunge. Avec eux, on se souvient ce que le fameux «smells like teen spirit» de Kurt Cobain pouvait vouloir dire. 

Outre le fait que cela déménage bien en live - déluge de riffs de guitare, instruments atypiques comme le violoncelle ou un petit xylophone -, Couchgrass a certainement comme point fort une incroyable présence sur scène: ses membres ne se prennent pas trop au sérieux. Leurs guitares sont parfois hésitantes, parfois agressives, la basse bien binaire, la voix d'Amandine Klee riche en nuances. Leurs textes disent la quête de l'amour et les perversions de la société de consommation, l'inceste, le trafic d'êtres humains... À suivre de très près.

L'édition 2004 du Rock um Knuedler - la treizième - était une très bonne édition parce que la musique que produisent les groupes luxembourgeois aujourd'hui est vraiment excellente, que l'éternelle tendance du blues pleurnichard est enfin enterrée et que les jeunes, très jeunes formations sont enfin invitées à s'y produire. Rétrospectivement, l'idée d'ériger la deuxième scène, plus petite, pour les «découvertes», réalisée il y a trois ans, se révèle précieuse. Pouvoir monter et démonter les instruments entre deux gigs alors qu'une autre formation se produit en même temps sur l'autre scène empêche qu'il y ait des vides et que le public s'en aille. En même temps, le nombre de groupes invités a ainsi pu être doublé. Pour les musiciens luxembourgeois, de plus en plus en mal de lieux de concert, cela constitue une véritable aubaine de pouvoir se produire dans de bonnes conditions devant une si large audience.

Pour la deuxième année consécutive, les Toxkäpp ont ainsi joué leur ska-punk joyeusement provocateur - leur première apparition l'année dernière marquait comme une petite révolution, un accès de courage des programmateurs. Pronoian Made jouaient peut-être un peu tôt (16 heures), leur musique gothique très noire aurait mérité une ambiance plus sombre. Mais au plus tard lorsqu'Oliver Made entonnait le Paint it black des Rolling Stones, tout le monde s'y retrouvait, malgré la pluie. Le groupe constitue actuellement une des très grandes success stories de la scène locale, très prisé dans le milieu du gothique international.

Parmi les découvertes, les Mack Murphy [&] the Inmates y donnèrent un de leurs premiers concerts, leur rock mélancolique, tendance Nick Cave, n'a rien à envier à leurs pairs internationaux. Daniel Balthasar et Blue Room avaient ouvert le bal sur la petite scène avec une belle performance très touchante de singer-songwriter mélodieux et doux; leur fan-club n'est plus à conquérir. Sonic Season, sur la grande scène, toujours très soft, très west-coast américaine, venus avec le support de musiciens invités, notamment des backing vocals de Raquel Barreira e.a., n'ont plus de preuves à faire. 

Zap Zoo derrière l'homme-orchestre Serge Tonnar venait avec tout un tas de nouvelles chansons - et Menni Olinger qui remplaçait, «au pied levé» pour ainsi dire, Mike Tock à la batterie, qui s'est cassé... le pied. Zap Zoo aussi deviennent de plus en plus rock, et ont acquis une maîtrise extraordinaire de la dramaturgie d'un concert - enchaînement des chansons, présence des musiciens, effets de scène, tout y est. 

Alors, si le Rock um Knuedler a réussi à faire sa mue dans la programmation des groupes luxembourgeois, que Roby Schuller et Roger Hamen osent y travailler prospectivement, prendre des risques et mélanger les styles et les générations (même si la musique électronique y manque toujours), on se met à rêver que d'ici quelques années, ils oseront faire de même pour les têtes d'affiches internationales. Car franchement: Toto, c'est bon, on a donné, ils ne se sont pas vraiment renouvelés et tout le monde n'a pas forcément envie de se souvenir durant vingt ans de ses premiers slows. Par contre si un jour on pouvait arriver à y voir les plus prometteurs des groupes du moment, ce serait génial. Franz Ferdinand cette année sur le Knuedler et même Guillaume n'aurait plus tenu en selle.

 

 

 

 

josée hansen
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