Des scouts en passant par les Verts, RTL et Eldoradio à son « poste de rêve » au ministère d’État à 32 ans : un portrait du très dynamique Paul Konsbruck, plus spin doctor que porte-parole de Xavier Bettel

Il conseillait le Premier debout

d'Lëtzebuerger Land vom 22.08.2014

« Pour nous tous, c’était nouveau : Jean-Paul Senninger n’avait jamais été secrétaire général du conseil de gouvernement, Xavier n’avait jamais été Premier ministre et moi, je n’avais jamais été responsable de la communication d’un Premier ministre », se souvient Paul Konsbruck de ce jour de décembre 2013, lorsque le gouvernement DP/LSAP/Verts était en place et qu’un coup de téléphone de Jean-Paul Senninger lui proposa de rejoindre l’équipe. « Voilà le poste de mes rêves ! » se réjouit-il à l’époque, alors même qu’il venait de signer un contrat qui devait le promouvoir rédacteur en chef adjoint à RTL Radio Lëtzebuerg.

Pour atteindre son bureau au ministère d’État, il faut passer devant la porte du « chef », Xavier Bettel himself, qui, ce jeudi en plein mois d’août, y range ses affaires en bras de chemise, pull foncé noué autour du jean, sa mini customisée noire avec toit ouvrant rouge immatriculée XB1973 devant la porte. Tout est plus relax en été, il n’y a pas de réunions du conseil de gouvernement jusqu’en septembre, Et Paul Konsbruck allait partir pour ses premiers congés de l’année 2014 le lendemain. Il s’était montré étonné qu’on veuille faire son portrait, « c’est vraiment le creux chez vous ! » avait-il plaisanté lorsque nous prenions rendez-vous. Pour être sûr de son interlocutrice, il avait quand même consulté son profil Linkedin la veille, sait-on jamais.

Premier étage du ministère : voilà le bureau du conseiller économique, là-bas celui de Jean-Paul Senninger, voilà celui du secrétaire général adjoint, par terre un panier à linge rempli de documents à ranger – Paul Konsbruck donne des indications rapides et sans fioritures jusqu’à ce qu’on atteigne son petit antre à lui, au deuxième étage. On y entre en passant devant une marionnette en papier de Joschka Fischer, attachée avec une simple punaise sur le cadre de la porte. « En fait, dit-il, ma fonction n’est pas nouvelle, elle avait été introduite par Jean-Claude Juncker : Ady Richard occupait ce bureau avant moi ». Son titre officiel est « Conseiller en Communication du Premier Ministre », selon l’annuaire électronique de l’administration de l’État.

Mais qu’est-ce que cela implique au juste ? L’homme en costume-cravate – assortie à ses yeux bleus –, on le connaissait journaliste chez RTL en 2009-2011, puis présentateur des bulletins info et surtout rédacteur en chef à la très jeune et dynamique Eldoradio les années suivantes, où il se permettait un ton percutant et même un brin d’impertinence. Depuis neuf mois, il est sans cesse aux côtés de « Xavier », qu’il suit comme son ombre, comme lors des conférences de presse pour lesquels il prépare des notes sur les possibles questions des journalistes ; dont il assure les relations de presse et le conseille sur son image. Mais il l’accompagne désormais même aux réunions politiques de haut niveau, le conseille en amont ou durant la réunion, sans que l’on sache vraiment s’il y donne aussi des orientations politiques (et si oui, lesquelles) ou s’il se borne aux conseils en marketing.

« Au début, plusieurs missions étaient claires, se souvient-il : que je devais assurer les relations presse, rédiger les communiqués et voyager avec le Premier ministre, préparer ses discours aussi. Mais en cours de route, plusieurs charges se sont greffées sur cette mission, comme celle d’assister aux réunions. En en sortant, nous discutons des thèmes abordés et Xavier Bettel veut connaître mon avis. » En quelques semaines seulement, Paul Konsbruck a ainsi conquis un poste-clé au ministère d’État, devenant un peu un Alastair Campbell à la luxembourgeoise, plus spin doctor que porte-parole. Il fait partie du cercle rapproché du Premier ministre, aux côtés de Jean-Paul Senninger, donc, de Marc Colas, l’administrateur général du ministère, de Yuriko Backes, la conseillère diplomatique, de Jacques Thill, en charge des affaires juridiques, et de Marc Baltes des affaires économiques.

Disponibilité Depuis son arrivée au ministère, il n’a pas trop eu le temps de personnaliser son bureau, difficile de cerner sa personnalité sur ces quelques détails : des journaux par terre, des dictionnaires de poche en plusieurs langues rangés selon leur taille sur le bureau, une carte postale d’un bébé-phoque blessé qui regarde avec de grands yeux ronds, un autocollant « Obama/Biden » sur un porte-documents et une mappemonde inversée sur laquelle il est marqué « New Zealand no longer down under ». « Cette carte, je l’ai accrochée parce que beaucoup de choses sont une question de point de vue, explique-t-il. Ainsi, ici, dans la maison, je suis souvent l’avocat de la presse, qui fait un bon boulot au Luxembourg aujourd’hui ! » Pour Paul Konsbruck, « la presse luxembourgeoise s’est émancipée l’année dernière quand Michel Wolter a appelé à une conférence de presse et que personne n’y est allé. Enfin, personne, sauf le journaliste du Woxx, qui avait raté l’appel au boycott. Pour moi, ce moment-là était une véritable rupture par rapport aux habitudes locales ronflantes. Cette presse plus critique ne facilite pas mon travail à moi, mais j’en suis très satisfait... »

En parlant, Paul Konsbruck ne décolle jamais ses yeux de son écran d’ordinateur, suivant les courriels entrants et le fil d’actualité. Quand, par inadvertance, l’ordinateur passe en mode veille, il le rallume automatiquement d’un coup de doigt machinal. Un de ses deux portables – l’un professionnel, l’autre privé – sonne sans cesse, il décroche, demande à son interlocuteur s’il peut rappeler, raccroche, s’excuse. « Oui, bon, je ne dois pas être joignable 24 heures sur 24, concède-t-il, mais il arrive que le Premier ministre envoie des SMS à 11 heures du soir ou à 5 heures du matin... Alors mieux vaut savoir qu’on a une réunion importante à 9 heures. » Ce matin-là, le rendez-vous avait été reporté deux fois de quinze minutes, poliment par SMS aussi, à cause d’une de ces réunions impromptues.

Digital native À 32 ans, Paul Konsbruck est un « digital native », a grandi avec Internet et la téléphonie mobile. Il adorait Facebook, l’alimentait passionnément, réagissait intempestivement sur Twitter à l’actualité politique... Jusqu’en mai de cette année, lorsqu’il fut décidé que désormais, il devait mieux incarner la fonction. « My account has now officially turned into a fully professionnal account. My tweets will concentrate on PM @Xavier_Bettel’s work and interests » écrivait-il le 2 mai. Là aussi, les choses évoluent. Avec un Service information et presse de l’État en retard d’une guerre (au moins) – il n’a officiellement rejoint les réseaux sociaux que début juillet de cette année – et un Premier ministre qui a su tirer profit dès le début de Facebook et de Twitter en y alimentant ses profils respectifs, mélangeant le privé (des photos de lui et de son partenaire Gauthier Destenay ornent ses pages d’accueil) et le public (message de félicitations pour Jean-Claude Juncker lors de son élection en tant que Président de la Commission européenne ou de condoléances pour les victimes des récents accidents d’avion), il faut naviguer à vue pour contrôler la communication politique. À moyen terme, Paul Konsbruck voudrait moderniser les modes de communication du gouvernement, et, surtout du Premier ministre : donner des conférences par Skype lorsqu’il voyage, faire les briefings debout « plus dynamiques, qui collent mieux à l’image de ce nouveau gouvernement » et les rediffuser par streaming... Mais tout cela prend du temps, ne serait-ce que pour la mise en place et la sécurisation des technologies.

« En fait, le vrai travail de ce gouvernement ne commence qu’en octobre, lorsque seront annoncées les mesures de réforme et d’épargne pour les prochaines années, affirme Paul Konsbruck. La première année n’a été que préparation à cela, il s’agissait surtout de raccommodage... » À la rentrée, les profils du Premier ministre seront adaptés, mieux définis, le ton y deviendra plus formel – alors que ses pages personnelles resteront privées. « J’ai aussi dû apprendre que, parfois, c’est mieux de ne rien dire, de ne pas réagir à une information ou à une rumeur », ajoute-t-il, pensif. Pas évident pour un ancien journaliste. Le fait que l’information sur l’introduction d’une taxe pour l’éducation de la petite enfance ait filtré dans la presse avant l’été (information qui avait mis en rage Xavier Bettel), Paul Konsbruck ne le trouve « ni étonnant, ni vraiment dramatique, juste dommage » parce qu’il s’est avéré qu’il y avait un leak dans l’équipe gouvernementale.

Le scoutisme mène à tout Aujourd’hui père de deux petits enfants – un garçon de deux ans et une fille de deux mois –, Paul Konsbruck a le profil-type du citoyen engagé : scout à la Fnel, où il dit avoir appris la responsabilité et la démocratie, lycéen actif dans les comités d’école à Echternach, porte-parole des Jeunes Verts et même candidat aux législatives pour les Verts en 2004 – il avait alors 22 ans et s’est classé troisième sur sa liste à l’Est avec 2 580 voix, derrière Adri Van Westerop et Henri Kox, élu député –, puis étudiant en lettres allemandes et anglaises à Heidelberg, d’où il sort avec un master. Ce fut durant ses études aussi qu’il commença à faire des reportages pour RTL Radio Lëtzebuerg et qu’il jugea qu’une activité journalistique était incompatible avec la militance politique au sein d’un parti.

Où apprend-on le métier ? Quelles sont ses références ? Faussement modeste, Paul Konsbruck ne voudrait pas encore se comparer à ses pairs de l’administration Obama, modèle pour beaucoup de politiciens et communicants politiques européens. « Bon, ça a l’air un peu débile, mais j’ai regardé toutes ces séries télévisées politiques comme West Wing ou Borgen », sourit Paul Konsbruck, et c’est vrai qu’on l’imagine un peu entre C.J. Cregg ou Josh Lyman du mythique feuilleton américain et Kasper Juul, son pendant danois. « Et en réalité, ces séries sont vraiment bien faites : lorsque nous avons finalisé la Déclaration sur l’état de la Nation, en mars-avril, c’était exactement comme à la télévision. Nous travaillions d’arrache-pied, nuit et jour, je rentrais juste dîner avec ma famille et je revenais bosser toute la nuit, on adaptait sans cesse des informations, on essayait des formulations – c’était passionnant. » À l’époque, il aimait bien citer ses propres formules sur Facebook, plus auteur indépendant encore que fonctionnaire. Tout comme certains ministres sont plus loquaces et plus rapides à réagir sur les réseaux sociaux que de rigueur. Avec le temps, peut-être, la fonction rend plus prudent. Et taiseux.

josée hansen
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