Succession au Mudam

Bonne chance aux headhunters

d'Lëtzebuerger Land du 08.10.2021

Les boîtes majeures d’audit et de conseil, appelées communément les Big Four, à en juger d’après leurs effectifs toujours grandissants, ne manquent pas de boulot dans le pays. Et non moins logiquement elles se trouvent régulièrement mises en cause. À regarder d’ailleurs une carte de la capitale, avec leurs sièges bien répartis, deux au sud-ouest, à Gasperich, les deux autres au nord-est, au Kirchberg, on serait tenté de dire qu’elles tiennent la ville en tenaille. Un peu de distraction (une échappée sur un autre terrain que financier) ferait certainement plaisir.

Vous ne voyez pas où je veux en venir. Les Deloitte, EY, KPMG et PwC sont de plus en plus mis à contribution quand il s’agit d’un nouveau poste de direction à pourvoir, il est même fait appel à eux quand un club de football veut ou doit changer de propriétaire (et KPMG de dénicher ces jours-ci deux ou trois repreneurs pour l’AS Saint-Etienne dont un prince cambodgien). Avec le Mudam, si l’on porte le regard en arrière, des moments de détente se suivraient à des intervalles assez rapprochés. Le long terme ne semble pas inscrit dans l’ADN de l’institution. Des headhunters, de quelle nature, se seraient déjà mis en marche pour la succession de Madame Cotter (on passera sur d’autres postes soumis à des changements ces derniers temps ou dans un futur proche).

Tout dans ce genre d’affaire est dans le profil. À moins qu’on ne prenne les choses à leur point de départ, en s’interrogeant sur la fonction même du musée, de son essence, ce qui n’est peut-être pas la préoccupation première, cela ne l’a pas été en tout cas dans le passé, d’où une sorte de péché originel dont dans ce domaine-là encore on se ne débarrasse pas si facilement (inutile d’y revenir longuement, à commencer par la tromperie sur le nom lui-même, pour une maison où la première moitié du vingtième siècle s’avère totalement et étrangement, mais il est des raisons, multiples, absente). On dira simplement que la décision de construire le musée, de commencer sérieusement à collectionner, tombe à une époque où l’art moderne arrive à sa fin.

Pourquoi ce rappel ? Nous vivons un moment où tant d’interrogations surgissent, elles concernent aussi fortement l’avenir des musées. Comme l’ont rappelé dernièrement les entretiens organisés pour le soixantième anniversaire de la Stiftung Nordrhein -Westfalen et le centenaire de la naissance de Werner Schmalenbach. Le fondateur avait en son temps des choix à faire, il s’y était attelé de façon exemplaire. Plus d’un demi-siècle après, voici qu’on se trouve à un nouveau carrefour, et l’on ne mentionnera que deux voies qui vont imposer des décisions. Dans un monde globalisé, pas moyen d’échapper à un examen, une révision d’un canon de beauté, plus largement esthétique, dont on sait qu’il n’est que trop lié à une époque et un lieu donné (plus ou moins étendu). Ce n’est pas un hasard si la Documenta 15, l’année prochaine, sera l’œuvre d’un collectif indonésien d’artistes, une dizaine, appelé ruangrupa, et basé à Jakarta. Cela va changer radicalement la donne.

L’autre perspective mise en discussion : la propriété même des collections, sans remonter jusqu’à la Révolution française pour en affirmer l’appartenance publique. Alors qu’on assiste aujourd’hui à une tendance à la privatisation (qu’en est-il des œuvres du Mudam, sont-elles inaliénables, ou leur avenir dépend-il de la fondation?). Question tout aussi lancinante quand on passe à l’inévitable digitalisation qui risque d’échapper aux pouvoirs publics. Dans le même contexte, on n’a pu qu’être surpris par tels changement de poste, dernièrement, en France, ils disent où l’on va à l’avenir : se faire un nom dans le public, et après se faire du fric dans le privé (avec il est vrai d’autres moyens, de tout autres possibilités).

Lucien Kayser
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