Les brasseries, cafétérias et autres bars installés dans les musées sont rarement des réussites

L’agape au musée, un secteur négligé

d'Lëtzebuerger Land du 08.10.2021

On accroche des œuvres (parfois géniales) aux murs, on vous fait baver d’envie devant tant de créativité. Tout ça peut vous donner faim et soif. Vous auriez envie d’échanger sur ce que vous venez de contempler. Parfois, l’institution dans laquelle vous vous êtes rendue est un peu éloignée de tout bistro. Mais vous installer à la cafeteria maison vous tente moyennement. Qu’est-ce qui ne va pas de ce côté là?

Et pourtant, il existe des cas exemples de bonnes auberges muséales de par les villes et les pays. Au Centre Pompidou à Paris, le Georges et son rooftop ne désemplissent pas. Même chose pour le superbe resto au neuvième étage du Blavatnik building de la Tate Modern à Londres. Il est vrai que, avantage supplémentaire, ils offrent tous deux un panorama inégalé sur les villes respectives. Mais aussi, ils n’ont pas hésité à léguer les fourneaux à des chefs expérimentés. Notons aussi les espaces du Palais de Tokyo, avec une annexe au musée qui change assez régulièrement de concept, le magnifique Monsieur Klein au sous-sol et l’immense terrasse partagée avec le Musée d’art moderne de la ville de Paris.

Loin de nous de vouloir comparer les cuisines de ces lieux cultes à la brasserie du Musée des mines de Rumelange ou celle du Musée des calèches à Peppange, ce sont des musées régionaux qui attirent surtout une faune locale et n’ont pas d’ambition gastronomique. Mais côté capitale, ce n’est pas vraiment la gloire quand on observe ce qui est offert dans les temples de la culture. On n’insistera pas sur des centres culturels comme les Rotondes ou Neimënster, qui sont plus des endroits de rassemblement que d’expositions, et qui drainent au moins dans ce sens une certaine clientèle fidèle. Au Grund, d’ailleurs, aucun exploitant n’a pu jusqu’ici attirer régulièrement du monde, ce qui peut laisser croire que l’aspect « boire et manger » y a toujours été un peu traité à l’aveugle. Comme souvent, on laisse toute la responsabilité à un gérant externe arrivé par appel d’offres et on peut se demander si, à part chercher l’offre la plus avantageuse, on analyse vraiment les capacités de celui-ci à faire vivre un restaurant. On espère que le projet que Kim Mathekowitsch développe nous fera mentir.

Au Mudam, la directrice de l’époque, Marie-Claude Beaud, avait décidé de réserver la brasserie du musée aux visiteurs. Il fallait obligatoirement payer l’entrée pour y accéder. Alors que le passage par le grand hall aurait pu motiver des visiteurs du resto à s’aventurer vers les salles du musée. Depuis lors, même si la donne a changé, ce très grand espace, pourtant aménagé par les designers de renom, les frères Bouroullec, ne vit vraiment que les soirs de vernissage. Il faut avouer qu’il n’y pas grand chose pour attirer les gourmands, ni par une carte alléchante (le menu tout régional qu’il soit manque singulièrement d’audace et de créativité), ni par des événements sympas, tels qu’ils avaient lieu un temps les mercredis soirs avec des sets de DJ’s. Y inviter de jeunes cuisiniers à venir présenter leur concept culinaire lors de soirées éphémères serait une idée aussi intéressante pour le musée que pour les chefs en herbe.

Au Casino-Luxembourg de la rue Notre-Dame, il est attristant de voir que son Ca(fe)sino n’a jamais vraiment décollé alors qu’il avait pour lui le plus beau cadre imaginable. Il reste à espérer que son successeur, Kay, un nouveau concept de cuisine créative et péruvienne (bien qu’on y ait trouvé un pad thaï parmi les plats du jour) puisse enfin trouver sa clientèle. Ici, le problème majeur réside dans la mauvaise insonorisation de la salle, ce qui aurait dû être réglé dès le début, car lors de moments d’affluence on a du mal à s’entendre parler.

Quel dommage, par ailleurs, de voir qu’un aussi joli pavillon que la Villa Vauban ne se soit jamais doté d’un endroit où venir se reposer en prenant un petite collation. Au moins y a-t-il eu ici des déjeuners sur l’herbe, mais c’est un concept trop tributaire des caprices de la météo pour pouvoir s’installer dans la durée. Le seul musée dont le restaurant avait bien démarré avec un concept qui se tenait, était celui du Musée d’Histoire de la Ville (rebaptisé Lëtzebuerg City Museum). Rien que sa superbe terrasse donnant sur le Grund affichait complet dès le premier rayon de soleil, les menus proposés tenaient la route et le premier exploitant, Robert Mailliet, s’y montrait coopératif en organisant des thés dansants, des repas dans le cadre de la Commune de Paris, des cafés philosophiques, et même des fêtes de mariage. Les successeurs ne se sont plus tenus à cette coopération directe avec le lieu-même, ce qui a chaque fois mené à une fermeture subite. D’ici le début 2022, une nouvelle équipe va redémarrer l’activité du restaurant (et de la terrasse autour du grand hêtre). Ce sont des acteurs confirmés de la place qui seront aux manettes. On peut donc espérer une belle reprise en main.

Pour clore, et à décharge de certains exploitants qui s’y seront aventurés sans grand résultat, il faut se poser la question si les restaurants de musées ne sont pas plus difficilement exploitables dans des villes moyennes ou petites, vu le manque de grandes affluences dans les musées eux-mêmes ? En visitant récemment la Modern Gallery du Saarlandmuseum à Saarbrucken, nous avons aussi trouvé une brasserie vide et on y avait même installé en terrasse un grand écran avec retransmission de matches de foot, sans doute dans l’espoir de voir venir un peu plus de monde. En ce qui concerne le restaurant du Centre Pompidou à Metz, il semble se aussi avoir du mal à se défendre, car l’exploitant a déjà changé plusieurs fois au fil des années. Les contraintes liées aux lieux culturels (horaires à respecter, dépendance vis-à-vis de l’institution, localisation…) rendent les établissements difficiles à exploiter. Mais, en revenant chez nous, on voit, par exemple à la Brasserie Schumann au Grand Théâtre qu’une bonne tête d’affiche à la direction et une offre culinaire qui se tient peut mener au succès un endroit qui, avant cela, vivotait.

Claude Neu
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