Chroniques de la Cour

Les missionnaires

d'Lëtzebuerger Land vom 20.03.2020

Le coronavirus va forcément réduire les activités officielles des juges européens. Réception à l’occasion d’une fête nationale, visite de courtoisie à un ambassadeur ou à un président de Cour constitutionnelle, cocktails, cérémonie de délivrance de diplômes ou de médailles, pour le moment, c’est bien fini. Une baisse d’activités dont on évaluera l’ampleur l’année prochaine. Il y a quelques jours et avec un peu de retard par rapport à l’exercice précédent, la Cour vient de publier la liste de ses activités extérieures effectuées en 2019. Une liste minimaliste qui mécontente le Parlement européen du fait son manque de transparence (voir d’Land du 13.03.2020).

Les exemples ci-dessus sont tirés d’une liste ancienne. Car Il fut un temps où ces activités et ces missions étaient publiées dans le rapport annuel de la Cour. Retirée de la version sur internet, elle avait disparu. Sous la pression du Parlement européen, elle a dû être mise à nouveau sur le site Curia. Version minimaliste. En matière de transparence, la Cour fait toujours les choses à moitié. Sur les listes anciennes, les cérémonies étaient détaillées avec les dates mais le nom des participants était omis. La Cour a maintenant rajouté l’identité des juges et avocats généraux mais a retiré les dates et la raison du déplacement ! Ces voyages officiels sont tous frais payés, voyage, hôtel et une allocation per diem encore bien mystérieuse. Malgré des demandes répétées, la Cour n’en a toujours pas donné le montant.

La liste 2019 est titrée : « Activités (…) ayant eu lieu l’année précédente ». Ce tour de passe-passe permet de faire disparaitre des écrans la liste 2018, y compris la mention du voyage d’une trentaine de juges au congrès de la Fédération internationale de droit européen à Estoril au Portugal, pendant une semaine en mai 2018. Visite qui avait fait tiquer les députés européens. La liste est divisée en deux parties. Visites officielles et protocolaires d’une part, activités « d’intérêt européen » d’autre part.
La première catégorie, l’autre aussi d’ailleurs, suscite bien des interrogations. Ce sont des visites officielles, donc par définition publiques. Pourquoi doit-on ignorer combien de temps la vice-présidente de la Cour, Silva de Lapuerta, a passé au Costa Rica et quel a été le but de sa visite à la Cour suprême des droits humains ? Avec qui a-t-elle eu des entretiens ? A-t-elle fait des déclarations publiques ? Comment justifier ce déplacement ? Le Parlement européen, mais aussi le chercheur, l’historien aimeraient bien savoir. Toujours en 2019, le juge Bay Larsen s’est rendu à Malte au Bureau européen d’appui en matière d’asile, une agence européenne de l’UE qui mériterait d’être connue. Puis à une autre date, Bay Larsen a rendu visite – on suppose - au Président du Tribunal supérieur d’Andalousie. Le but et la durée de ces séjours doivent-ils rester ignorés du public ? Un comble pour des visites officielles payées par le contribuable. À une date aussi inconnue les juges Kornezov et Kowalik-Bannczyk sont allés en visite à l’Office des marques à Alicante ? Qu’allaient-ils y faire ? Un anniversaire ? Et la durée de la visite ? Il n’y a pas de mal à représenter la Cour ou le Tribunal à l’Office de la propriété intellectuelle de l’UE mais on aimerait en savoir plus.

Parlons aussi de la nouvelle juge Porchia. Arrivée à la Cour en septembre 2019, elle a déjà fait partie d’un voyage officiel à Rome auquel ont participé la juge à la Cour et l’avocat général italiens. Qu’avait donc à leur dire la Présidence de la république italienne de si important ? Pourquoi leur présence à tous était-elle indispensable ? Et là aussi combien de temps a duré ce voyage ?

De même, celui de la juge Spineanu-Matei et du président du Tribunal européen qui était alors Marc Jaeger, à Bucarest ? Sans date, on suppose que la juge Toader de la Cour, citée aussi, est partie en même temps. C’était, on suppose aussi, du temps où la Roumaine occupait la présidente de l’Union européenne, au cours du premier semestre 2019. À Bucarest, ils avaient rendez-vous au Ministère des affaires extérieures. Mais les activités européennes de la présidence n’étaient-elles pas à Bruxelles au sein de la représentation permanente de la Roumanie. Donc que venaient-ils faire à Bucarest ? Rien ne leur interdisait d’y aller mais le but de la visite nécessitant la présence officielle de trois juges et la durée de leur séjour devraient être rendus public.

Mettre la durée des voyages officiels et protocolaires sur le site de la Cour permettrait de couper court aux rumeurs de rallongement du temps des visites à des buts récréatifs. Sans date, impossible de démentir. Et si l’on peut supposer que les dates des visites officielles et protocolaires sont dictées par les pouvoirs organisateurs, il n’en va pas de même dans la deuxième partie de la liste, au demeurant longue comme un jour sans pain. Les juges en ont en partie la maîtrise. Pour le Parlement et le personnel de la Cour, ils ont toutes les facilités pour organiser leurs cours, séminaires et autres rencontres en fonction de leurs intérêts privés. On y reviendra.

Dominique Seytre
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