Chroniques d’urgence

Un yacht sur le Potomac

d'Lëtzebuerger Land du 15.10.2021

Était-il naïf d’espérer que Joe Biden finisse par hisser son engagement climatique à la hauteur du défi ? Ayant dû battre, pour parvenir à la Maison Blanche, des concurrents plus engagés que lui sur la question comme Bernie Sanders ou Elizabeth Warren, n’allait-il pas reprendre à son compte au moins une partie de leurs positions ? À la veille de la COP de Glasgow, il faut bien reconnaître que les États-Unis restent plutôt un obstacle sur la route d’une action globale en faveur du climat qu’un agent catalyseur.

À lire les déclarations de John Kerry cette semaine dans le Guardian, on se laisserait presque convaincre que l’Amérique de Biden s’attend à une COP26 réussie lors de laquelle de grands pays rivaliseront d’ambition. « La mesure du succès à Glasgow est que nous aurons l’augmentation la plus importante, la plus significative en matière d’ambition (de réduction d’émissions) par davantage de pays que n’importe qui pouvait imaginer », s’est enthousiasmé l’émissaire pour le climat.

L’ambition c’est bien, l’action c’est mieux. Les choses se gâtent dès que l’on juge la politique menée depuis Washington à l’aune des faits. Comment prendre au sérieux les rodomontades de John Kerry alors que l’administration américaine continue d’autoriser à tour de bras des projets d’exploration et d’infrastructures pétrolières ? Ce lundi, une manifestation a rassemblé aux abords de la Maison Blanche des militants emmenés par des dirigeants de communautés indigènes indignées par les bulldozers qui continuent de grignoter leurs terres pour en extraire ou y transporter des combustibles fossiles. Mettre le holà aux investissements qui enferment l’économie dans sa dépendance aux énergies carbonées est le moins qu’on puisse atteindre d’une administration qui prétend à une position de leadership sur le climat.

Le scepticisme est renforcé par la paralysie qui gangrène les institutions américaines et entrave les projets climatiques de Joe Biden. Ceux-ci, intégrés à un long catalogue de dépenses d’infrastructures censé mettre les États-Unis sur la voie d’une vertueuse croissance verte, sont certes loin du Green New Deal réclamé par l’aile progressiste de son parti. Mais même cet exercice, notoirement inadapté à l’enjeu, n’en finit pas de heurter des écueils au Congrès, où il est consciencieusement saboté par des parlementaires démocratiques dits « modérés ». Les plus en vue parmi eux sont deux sénateurs, Joe Manchin et Kyrsten Sinema, élus en Virginie occidentale et dans l’Arizona, deux États traditionnellement conservateurs. La seconde, qui se présente volontiers comme la reine du compromis, n’a rien trouvé de mieux à faire, fin septembre, que d’organiser une levée de fonds auprès de groupes de pression ouvertement républicains. Quant au premier, il a fait fortune dans les charbonnages, ancre son yacht « Almost Heaven » sur le Potomac et bénéficie des dons les plus généreux de l’industrie pétrolière. Son crédo : le « charbon propre », le parfait oxymore.

Jean Lasar
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