Édito

Mär sinn houfreg

d'Lëtzebuerger Land vom 17.11.2017

« Le succès a de nombreux pères, l’échec aucun, » dit-on, et la véracité de la citation apocryphe se laissa aisément vérifier vendredi dernier, 10 novembre, lors de la cérémonie d’attribution du titre de capitale européenne de la culture 2022 à Esch-sur-Alzette et à la région Sud. Voir le Premier ministre et ministre de la Culture Xavier Bettel (DP) embrasser l’ancienne bourgmestre socialiste d’Esch Véra Spautz, qui était, par sa fonction d’alors encore présidente de l’asbl organisatrice de cette année culturelle, est un de ces moments d’anthologie de tactique politique. Car les deux, ce n’est pas un secret, ne s’aiment guère.

Et bien que Xavier Bettel ait affirmé le soir même à RTL Télé Lëtzebuerg que son soutien affiché pour l’année culturelle eschoise durant une réunion avec le jury le matin même avait contribué à les convaincre de dire oui au projet, nombreux furent les Minetter à souhaiter un appui un peu plus clair de la capitale durant tout le processus de préparation du projet jusqu’à aujourd’hui. Mais cet aval bruxellois est aussi un peu la revanche des classes populaires du Sud sur les bourgeois de la ville, le « mär sinn Escher an houfreg drop » qu’on entendait ces derniers mois plus souvent qu’avant. Comme si la culture pouvait rendre à la région sa fierté d’avant la crise sidérurgique.

Pourtant, le gouffre économique et politique entre le Centre et le Sud du pays reste énorme, même si les choses ont changé, les communes traditionnellement socialistes le sont beaucoup moins depuis le 8 octobre – surtout Esch-sur-Alzette, qui a viré à droite avec la coalition CSV/DP/Verts. Il suffit de regarder l’index socio-économique réalisé par le Statec : à Esch-sur-Alzette, le revenu médian est de 2 660 euros (contre 4 795 à Weiler-la-Tour), le taux de chômage dépasse les treize pour cent, 8,7 pour cent des ménages sont monoparentaux et 7,9 pour cent recevaient le RMG en 2016. Pour Esch et sa région, le projet d’une année culturelle est un grand projet de transformation sociale, impliquant toutes les franges de la population dès 2018, alors que pour le gouvernement DP/LSAP/Verts, il s’agit tout au plus d’un peu de nation branding qui aide à faire oublier les rulings et autres papers. Nice to have mais pas forcément plus.

Dans un communiqué de presse sur Esch 2022, Tibor Navracsics, commissaire européen responsable entre autres de la culture, insiste que « le titre [de capitale européenne de la culture, ndlr.] peut apporter des bénéfices culturels, économiques et sociaux significatifs et à long terme ». La philosophie d’une forte implication de la population, d’une importante activité dans l’espace public et de partenariats européens développée par Janina Strötgen et Andreas Wagner s’est avérée être la bonne. (Même s’il était impensable que le jury n’investisse pas Esch-sur-Alzette et la région sud, comme c’était la seule candidature luxembourgeoise et que c’était au tour du grand-duché.)

Voilà donc le titre et les promesses, les actions concrètes doivent suivre désormais : le nouvelle majorité politique eschoise doit s’approprier cette année culturelle, y voir plus qu’un accélérateur pour le commerce et le tourisme, comme l’ont laissé entendre le nouveau maire Georges Mischo (CSV) et son échevin à la culture Pim Knaff (DP) dans leurs premières interviews. Et le ministère de la Culture, pour sa part, devra donner forme à cette « fierté » affichée par Xavier Bettel vendredi. Les quarante millions d’euros qu’il s’est engagé à réserver à l’organisation seront libérés dès 2018, commençant avec quatre millions, puis augmentant jusqu’à seize millions annuels en 2021. Mais qu’en est-il des infrastructures ? Les organisateurs d’Esch 2022 rêvent de récupérer la Salle des soufflantes à Belval, le grand hall industriel qui avait abrité e.a. All we need en 2007, comme quartier général. Or, on cherche en vain, même dans le budget pluriannuel, la moindre trace d’un budget de rénovation de l’infrastructure qui est désormais loin des normes de sécurité pour l’accueil de personnes.

josée hansen
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