Ciocârlie, Corina (Éd.): Jours enfantins au raoyaume du Luxembourg

Le temps heureux de l’enfance

d'Lëtzebuerger Land du 24.06.2010

Deux anthologies littéraires qui méritent d’être lues paraissent tous les ans au Luxembourg. Il y a celle des Walfer Bicherdeeg, publiée par Binsfeld, en novembre, et celle de Corina Ciocârlie, une collaboration entre les éditions Phi, la Ville de Luxembourg et la Photothèque, publiée dans la collection Aphinités (créée exclusivement pour cette occasion), entre mars et juin. Cette dernière rassemble des textes qui ont paru au cours de l’année dans le supplément Livres du Tageblatt et dont le sujet est préétabli. Cette année-ci, le sujet est l’enfance. Jours enfantins au royaume du Luxembourg s’intitule l’anthologie qui rassemble en dehors des usual suspects de chez Phi (Schlechter, Portante, les frères Helminger, Fixmer, Joris, Sorrente) quelques autres de nos figures littéraires incontournables (Rewenig, Hausemer), ou éclectiques (Carine et Elisabeth Krecké, René Welter), ou rock’n’roll (Muno).

Et même si ladite anthologie semble avoir un peu de mal à se renouveler, année après année, les textes qu’elle propose sont toujours d’une grande qualité. Disons, de la plus grande qualité possible, si l’on considère le sujet barbant. L’enfance est, incontestablement, un des sujets de prédilection des auteurs luxembourgeois. Ce qui ne veut certainement pas dire que ces différentes enfances ne soient pas dignes d’être racontées. Il est évidemment important de garder vives les souvenirs du Luxembourg de l’après-guerre : les hauts-fourneaux de l’aciérie, les travailleurs immigrants, le mélange étonnant des langues, le jardin de la grand-mère, etc. Cependant, dans les deux dernières anthologies Petites mythologies du grand-duché et Luxembourg, lieux intimes ces mêmes travailleurs immigrants, ce même mélange des langues et ce même jardin de la grand-mère étaient déjà au centre de l’écriture. Oui, mais on reconnaît un grand écrivain à ses hantises, répondra-t-on, et ce n’est certainement pas faux. Mais une anthologie, n’est-ce pas aussi un peu un terrain de jeu, propice non seulement aux anecdotes un peu poussiéreuses, mais également aux débordements plus ludiques ?

C’est ce que font par exemple Carine et Elisabeth Krecké dans leur texte écrit à quatre mains « Double V(i)e et vestiges d’enfance », écrit sous contrainte lipogrammatique, sur le modèle du roman La Disparition de Perec. Si ce dernier ne contient aucune lettre e, le texte des sœurs Krecké, qui décrit le souvenir d’un environnement scolaire particulièrement rigide et ennuyeux, ne contient que des mots commençant par un e ou un v. Le texte de Guy Rewenig, qui raconte l’histoire d’un homme venant au monde à 18 ans, mais qui est choyé par sa mère comme un nourrisson, qui va à l’école primaire avec des enfants de six ans lorsqu’il en a 24, qui tombe amoureux d’une camarade de classe qui a dix ans, alors qu’il en a 28. Évidemment, vu la griffe de Rewenig, ce texte ne se lasse pas de descriptions hilarantes et de commentaires à la limite du scabreux. Il n’en est que plus réussi. Le texte « Lauer, Lauer », de Claudine Muno, certainement un des plus touchants du recueil, raconte l’histoire d’une petite fille hypersensible (ou parano, c’est comme vous voulez) qui entend les murs de sa chambre lui murmurer des avertissements. Elle décide de rester éveillée toutes les nuits afin d’être prête en cas d’une éventuelle catastrophe, comme un incendie, un cambriolage, ou la mort de la grand-mère habitant dans la maison d’à-côté. Le ton de ce texte est mélancolique et drôle à la fois, et cet humour un peu noir et désabusé donne à la jeune fille qui parle une voix beaucoup plus avisée que celle de ses propres parents. À la fin, s’il est vrai qu’un sujet aussi aérien que les Petites mythologies du grand-duché peut produire des textes sur le tramway et la métallurgie, un sujet aussi terre-à-terre que les Jours enfantins peut bien produire des textes plus fantomatiques. On ne pourra donc pas dire que les anthologies de la collection Aphinités ne soient pas diversifiées.

Jours enfantins au royaume du Luxembourg ; textes rassemblés par Corina Ciocârlie ; Éditions Phi, collection Aphinités, 2010 ; ISBN : 978-2-87962-277-4 ; 15 euros.

Ian de Toffoli
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