Alors que le multilatéralisme fiscal est attaqué par l’impérialisme trumpien, le Luxembourg sera-t-il un des maillons faibles de l’UE ? C’est l’impression qu’on pouvait gagner en écoutant Gilles Roth le 19 décembre dernier à la Chambre. Le ministre des Finances y rappelait les déclarations « relativement agressives » tenues par le president elect contre l’impôt minimum mondial de quinze pour cent (également connu comme « Pilier 2 »). Quelle est la position luxembourgeoise face au revirement américain, voulait savoir la leader Déi Gréng Sam Tanson. Le ministre ne cachait pas son agacement. Il défendrait, lui, le level playing field et le Wirtschaftsstanduert Lëtzebuerg : « Et ceci sur tous les plans ; également dans les enceintes de Bruxelles ! » La question se poserait s’il ne faudrait pas « éventuellement ajuster » la directive européenne. Et de conclure : « An dat heescht am Kloertext: Wann anerer d’Reegele wëllen upassen, da wäerte mir eis am Kontext vun der EU net do dergéint stäipen. »
Un mois après ces déclarations ambiguës au Krautmaart, Donald Trump renversait le Pilier 2. Il signait un executive order déclarant que cet accord n’avait ni force ni effet aux États-Unis. Trump y voit un mécanisme « discriminatoire et extraterritorial » et agite la menace de contre-mesures frappant les États qui oseraient utiliser l’undertaxed payment rule, c’est-à-dire surtaxer les filiales de multinationales américaines qui paient moins de quinze pour cent d’impôt dans leur pays d’origine. Une cinquantaine de pays ont déjà implémenté le Pilier 2, dont les États membres de l’UE, avec le Luxembourg parmi les first movers. La pression de Trump fait hésiter les autres : Faut-il continuer, temporiser, abandonner ? « Il est essentiel que les pays européens restent fermes face aux menaces de Trump et appliquent la réforme dans toutes ses dimensions », déclare l’économiste Gabriel Zucman au Monde. Une retraite européenne risquerait de faire s’effondrer « tout l’édifice ».
Le concurrent suisse aiguise déjà les couteaux : « Das ideale Szenario für die Schweiz wäre, wenn das OECD-Regelwerk nun in sich zusammenfällt », est cité le dirigeant de Swissholdings dans la NZZ am Sonntag. Les jusqu’au-boutistes parmi les Helvètes plaident pour un retour au Réduit financier capable de protéger le capital américain contre les velléités fiscales des Européens. Le Luxembourg ne peut envisager de telles stratégies passéistes, le cadre communautaire lui imposant des limites. Même Laurent Mosar, connu pour ses positions pro-business, estime qu’il vaudrait mieux « de Ball flaach haalen ». Dans la réponse à une QP posée par le député CSV, le ministre des Finances déclare qu’« à l’heure actuelle », le Luxembourg serait lié par la directive.
La directive étant cadenassée par la règle de l’unanimité, un backlash abrupt est difficile à imaginer. Le Luxembourg semble trop emmêlé dans les accords multilatéraux pour revenir en arrière, aux temps du paradis (fiscal). La juridiction aime aujourd’hui se présenter comme propre et prévisible. Mais au-delà des éléments de langage sur « le plein engagement à se conformer aux standards fiscaux agréés au niveau international et européen » (communiqué du MinFin, 16.1.2025), le multilatéralisme a pris un sérieux coup et l’ambiance est tendue à l’OCDE. (Une institution que Gilles Roth connaît bien pour l’avoir fréquentée en tant que premier conseiller de gouvernement en charge des dossiers sensibles durant les années 2000.)
Face à la surenchère douanière de Trump, l’idée d’un impôt européen sur la Big Tech refait son chemin. Elle poserait un conflit de loyauté pour le Luxembourg qui a longtemps confondu ses intérêts avec ceux des Gafa. En mars 2013, Luc Frieden s’était ainsi rendu à Seattle pour « un échange de vues » avec les dirigeants d’Amazon sur les discussions menées à l’OCDE au sujet de la fiscalité des géants du numérique.
Au niveau bilatéral, on préfère ne pas ouvrir la boîte de Pandore. Le Luxembourg n’est pas demandeur pour renégocier l’accord de non-double imposition avec les États-Unis, qui va fêter ses trente ans l’année prochaine. Pour le conclure, il avait fallu trois rounds de négociations, par moments très tendus. Le Grand-Duché avait réussi à obtenir quelques traitements de faveur pour les multinationales américaines. Celles-ci gardent d’ailleurs un excellent souvenir du précédent mandat Trump. Elles ont profité de sa généreuse réforme fiscale pour rapatrier les profits qui s’étaient accumulés, des décennies durant, à l’international, notamment dans leurs holdings luxembourgeoises.