Réforme du cycle inférieur de l'enseignement sécondaire

Nuancer pour mieux orienter

d'Lëtzebuerger Land du 20.03.2003

d'Land: Quels lycées participeront à votre projet-pilote et à partir de quand? 

 

Marc Barthelemy: Actuellement, nous avons l'accord de deux lycées techniques, celui de Bonnevoie et le nouveau lycée Josy Barthel à Mamer, qui sont prêts à se lancer dans ce projet-pilote dès la rentrée scolaire de septembre prochain. Ils commenceront à l'appliquer dans toutes les classes de septième de leur établissement. Trois autres lycées considèrent une participation, dont un dans le Nord et un dans le Sud; nous voulons qu'au moins un lycée par pôle scolaire y participe.

 

Lors de la conférence de presse sur les grandes réformes en politique scolaire du 25 février dernier, vous expliquiez qu'une réforme du cycle inférieur de l'enseignement secondaire technique s'imposait parce que le taux d'échec dans les classes de dixième et de onzième était extrêmement élevé, aux alentours de trente pour cent. Ce projet serait donc une tentative de remédier à ces mauvais résultats, qui, selon vous, sont avant tout un problème de mauvaise orientation...

 

Ces taux d'échecs extrêmement élevés à partir de la dixième sont dramatiques. Cela veut dire que d'une part, les élèves ne sont pas orientés dans la direction qui serait la meilleure pour eux et de l'autre, ils n'apprennent pas jusqu'en classe de neuvième ce qu'il leur faut pour réussir par après. En analysant de plus près les résultats, on se rend vite compte que les problèmes majeurs se situent dans les mathématiques et dans les langues, français pour les luxembourgeois, allemand pour les enfants portugais par exemple. Ces problèmes linguistiques semblent entraîner les difficultés dans d'autres matières, comme les sciences naturelles, les mathématiques ou l'anglais qui utilisent l'allemand ou le français pour l'apprentissage de la matière en question. 

Or, nous voulons garder le principe  d'une école unique pour les classes inférieures, de la septième à la neuvième, qui sont concernés par cette réforme. Nous voulons éviter d'instaurer un clivage entre les groupes linguistiques dès ce niveau-là. Les filières francophones ne commencent qu'à partir de la dixième. 

 

Une des principales composantes de cette réforme est un système de notation plus nuancé, qui doit, justement, permettre de mieux orienter les élèves. Comment fonctionnera cette notation?

 

Vues les difficultés énoncées avant, nous voulons donner plus de chances aux élèves pour être orientés vers la filière de dixième qui corresponde le mieux à leurs capacités. Pour cela, nous allons décliner la note en français ou en allemand en trois volets: expression écrite, expression orale et compréhension. On procédera d'une façon analogue en mathématiques. Si un élève a des problèmes pour écrire un texte correct en français, il se peut qu'il soit parfaitement à même de s'exprimer oralement et qu'il puisse être orienté en conséquence. Actuellement, pour juger leurs élèves, les enseignants regardent une seule note moyenne sur soixante et décident alors qui peut suivre quelle formation, au régime technique, régime de technicien ou régime professionnel. Nous voulons que, grâce à une multitude de notes plus nuancées, l'élève, ses enseignants et ses parents soient informés en permanence sur les orientations possibles, dès les premiers mois de la classe de septième. 

Et nous voulons que ce système soit aussi transparent que possible, qu'il y ait un véritable échange avec les parents. De cette façon seulement, nous aurons une chance de leur expliquer que certaines formations, certaines branches seraient trop dures pour leur enfant. Il faut que les parents apprennent aussi à ne pas forcer leurs enfants dans une filière qui plaît aux parents, mais qu'ils acceptent au contraire de les orienter vers celle qui corresponde à leurs capacités. Cela implique forcément aussi une redéfinition du rôle des parents, qui sera beaucoup plus actif, et des enseignants, qui seront tenus à s'investir davantage.

 

Une deuxième composante de cette réforme est un défrichement substantiel des programmes, une simplification des contenus. Vous parlez d'«exigences minimales». N'y a-t-il pas ici un risque de nivellement vers le bas, d'en faire trop et de ne plus enseigner que des rudiments aux élèves de l'enseignement technique?

 

Actuellement, il y a beaucoup d'élèves qui échouent et quittent l'école trop tôt, et ceux-là, ils sont perdus, ils n'apprennent plus rien du tout. Il faut arrêter cette tendance. Les programmes de l'enseignement technique sont trop souvent encore calqués sur ceux de l'enseignement classique, qu'on a simplement allégés un peu. Nous voulons par contre adopter une démarche inverse: nous voulons fixer les savoirs et les compétences que tout élève devra avoir acquis après le cycle inférieur. C'est ce que nous appelons les «exigences minimales»: ce qu'un élève doit vraiment maîtriser en allemand ou en français ainsi qu'en mathématiques. C'est ce qui provoque actuellement l'ire de certaines lobbies d'enseignants, qui ont peur de voir leur matière amputée.

Chaque élève devra, pour réussir, maîtriser ces «exigences minimales», disons, en langues toujours, la rédaction d'un texte narratif d'un certain nombre de mots sur un sujet imposé, tout en respectant le quota défini pour la correction des formes utilisées. Cela implique forcément certains savoirs, comme la grammaire, l'orthographe etc. Sur ces «exigences minimales» viendront alors se greffer les «savoirs complémentaires», qui permettent de déceler et d'encourager les forces de chaque étudiant et, par ce biais, de l'orienter vers la filière qui lui convient le mieux. Ainsi, un élève qui aura une moyenne de 30 points en mathématiques pourra passer dans la prochaine année; celui qui aura 45 par contre sera encouragé à s'engager dans une filière qui implique des mathématiques.

En  ramenant les programmes à un niveau raisonnable, nous voulons surtout que l'enseignant retrouve un peu de liberté pour se consacrer aux besoins de ses élèves pour répéter ou réviser les choses qu'ils n'auraient pas compris. Aujourd'hui, les programmes sont tellement remplis qu'il faut les suivre au pas de course. Dans notre projet-pilote, deux tiers du temps seront consacrés aux contenus obligatoires, et un tiers serait à la disposition de l'enseignant pour répondre aux problèmes de ses élèves. 

 

Le rôle de l'enseignant change donc également. Ainsi, il est prévu de réduire le nombre de professeurs par classe et d'attribuer les mêmes enseignants à la même classe durant les trois premières années de l'EST... Pourquoi?

 

Dans l'enseignement primaire, qu'ils viennent de quitter, ces jeunes avaient un nombre réduit d'intervenants différents. À partir des classes de dixième dans les formations spécialisées, ils seront enseignés par beaucoup de personnes différentes, ne serait-ce que dans les ateliers. Nous voulons que le cycle inférieur devienne une sorte de «phase transitoire», durant laquelle les élèves évolueront encore dans un environnement assez stable, avec un noyau de professeurs dans les matières principales, qui ne changeront pas et qui les mettent en confiance.

 

Pourquoi est-il alors important que parallèlement, les lycées en question jouissent d'une plus grande autonomie pédagogique? 

 

Cela est une des principales conclusion de l'étude Pisa: les pays qui laissent une plus grande autonomie à leurs lycées y ont obtenu de meilleurs résultats. Nous voulons essayer, dans le cadre du projet-pilote, de donner une autonomie pédagogique assez conséquente aux lycées participants: ils auront par exemple une liberté de trois heures de cours par semaine, à remplir avec des contenus de leur choix, et les lycées pourront décider eux-mêmes du système d'organisation de leurs classes durant le cycle inférieur. Ainsi, ceux qui le désirent, pourront même opter pour une sorte de «voie unique» avec des classes hétérogènes durant le cycle inférieur et ne plus faire les différenciations entre «théorique», «polyvalente» ou «pratique»... Tout cela, bien sûr, uniquement après accord du ministère.

 

Quels sont alors, pour éviter les dérapages, les instruments de contrôle et d'évaluation du système? 

 

Bien sûr que les mécanismes de contrôle revêtent une importance primordiale dans un système avec une si grande autonomie. Nous en avons prévu deux, essentiels: premièrement la généralisation d'épreuves communes, à la fin de la classe de neuvième, qui fixent le standard à atteindre et permettent aux enseignants et aux élèves de s'auto-évaluer. Et deuxièmement, le ministère s'engage à faire passer aux enseignants les informations sur les curriculae de leurs élèves après la classe de dixième. Aujourd'hui, les professeurs n'ont souvent aucune idée si leur orientation était juste ou non, puisque pour beaucoup de formations, les élèves doivent quitter leur lycée d'origine. En collectant et en transmettant l'information sur la suite de leurs parcours, nous voulons encore une fois donner à l'enseignant une chance de s'auto-évaluer. 

 

Comment et quand sera évalué ce projet-pilote, qui concerne en fait beaucoup d'élèves dès la phase de lancement?

 

Nous ne pourrons faire le bilan de sa réussite ou non qu'après que les premiers élèves de septième auront terminé leur parcours. Entre-temps nous comparerons les résultats des classes qui y participent et de celles qui n'y participent pas. Nous nous sommes donné cinq ans et espérons que d'ici-là, le cycle inférieur permettra d'orienter les élèves de façon qu'ils aient une chance réelle de réussir leur formation. 

 

 

 

 

 

 

josée hansen
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