L’esthétique d’Eddy Kamuanga dénonce l’exploitation du Congo encore aujourd’hui

L’art résistant

d'Lëtzebuerger Land du 30.06.2023

Pour sa première exposition monographique à la galerie Zidoun Bossuyt, Eddy Kamuanga, que l’on avait découvert à l’occasion d’une exposition collective l’année dernière (Dialogues), revient avec cinq tableaux seulement pour l’exposition Esthétique du Chaos.

Le titre de la présentation de ses grands formats carrés ou rectangulaires de près de deux mètres de large et de haut, fait partie de sa production la plus récente, qui n’est que de huit toiles par an. Elles ont un fond bleu ou gris-beige uni, elles sont peintes à l’acrylique et huile sur toile et montrent des personnages où chaque détail est tracé avec une précision hallucinante qui explique pour partie cette production restreinte. On pourrait s’en étonner, vu que la thématique est, pour ainsi dire, unique : des femmes et des jeunes gens posent par deux, trois ou seul, immobiles.

Avec la précision de ses peintures, que ce soit dans les plissés d’un corsage, les motifs des boubous, Eddy Kamuanga (né en 1997, il vit et travaille à Kinshasa et à Bruxelles), rend vivants les corps qui les portent, en leur donnant du volume par le jeu de la lumière et des ombres. Les tissus sont représentés avec un luxe du détail incroyable, dans une gamme de couleurs puissante où domine le rouge vif. Au préalable, Eddy Kamuanga, non seulement a pris des photographies de ses modèles mais il les a fait poser dans un décor construit, qui deviendra le cadre où se déroule la scène du tableau. C’est le cas des murets en terre cuite de L’ombre du passé 2 et Childhood is a Dark Night(2), l’un au fond gris, l’autre ocre. Chacun des éléments, le muret de briques, le fauteuil typique de l’époque coloniale, la statuette africaine muselée, racontent une épopée cruelle.

Le sujet principal de ces deux tableaux est un enfant, qui a été enlevé à sa famille et élevé dans ce qu’on appelait les fermes chapelles, sous la domination de la colonisation belge. On l’aura compris, ces enfants enlevés à leurs parents et séparés de leurs traditions, devaient devenir de bons petits chrétiens, éduqués à l’occidentale. Leur destinée était de travailler au service de leurs maîtres. C’est ce que symbolise le napperon réalisé au crochet à la manière des Flandres.

Une chèvre, qui dans la tradition africaine protège les ancêtres, est debout sur la dentelle et l’enfant a l’avant-bras posé sur elle. Peut-être, par ce contact, les racines remonteront-elles dans l’enfant qui retrouvera sa mère, également représentée dans Childhood is a Dark Night(2) ? Ils se tiennent par la main tandis qu’une autre main de la femme est posée sur le dos du fauteuil. Cela suggère-t-il qu’il deviendra maître de son destin, comme dans L’ombre du passé 2 ? Il est souriant et ses yeux sont peints avec une précision qui les rend si pénétrants qu’on croirait qu’ils nous regardent depuis un passé enfoui, assis sur le fauteuil comme sur un trône.

Les poils de la chèvre aux pouvoirs très puissants, voire sorciers – elles étaient vénérées et nourries au Congo comme les vaches sacrées en Inde – sont rendus comme si la bête allait s’animer d’un instant à l’autre. C’est une suggestion. Car par ailleurs, les visages des personnages humains, vus de trois-quarts ou de profil, ont les traits figés quand ils ne tournent pas le dos au spectateur. Ils ont la tête baissée, les bras sont enlacés ou s’appuient l’un sur l’autre comme pour puiser plus de force.

Cette immobilité a quelque chose de robotique, et les visages et les bras, sont faits de composants électroniques. Le Congo est exploité, aujourd’hui comme hier, pour son sous-sol riche en minerais. Les fameuses terres rares, sans lesquelles l’ère électronique ne serait pas. Les tissus wax imprimés aux rouleaux en cuivre et les culots des ampoules Led à la mode dans tous les bars et restaurants en Occident, proviennent aussi de ce riche sous-sol.

Sans leur extraction et leur transformation – mais pas par les locaux ni au bénéfice du pays producteur, la machinerie mondiale se gripperait. L’esthétique du Chaos est la réponse d’Eddy Kamuanga, son habileté de peintre sa résistance. Grâce à son succès – comme il est exposé dans des galeries et des musées du monde entier – son talent rend à sa façon, leur honneur à ses concitoyens. Actuellement, il est donc de passage à Luxembourg.

L’esthétique du Chaos d’Eddy Kamuanga, est à voir
jusqu’au 22 juillet à la Galerie Zidoun-Bossuyt,
6 rue Saint-Ulrich, Luxembourg

Marianne Brausch
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