Istvan Csakany, Bersteinkammer

L’artisanat au musée

d'Lëtzebuerger Land du 29.08.2014

L’artisanat dans le pavillon Henry et Erna Leir au Mudam… Cela produit un effet de contraste maximum. D’autant plus que sous la verrière high tech de Pei, la cabane imaginée par Istvan Csakany semble flotter sur une surface d’eau couleur bleu lagon. Sans doute est-ce la couleur du rêve. Car l’artiste de nationalité hongroise (né en 1978 en Roumanie, il vit aujourd’hui à Berlin) a reconstitué l’atelier de bricolage de son père de mémoire.

L’œuvre a été réalisée en 2010 et récompensée par le prix de l’Aica (Association internationale des critiques d’art) et acquise par le Mudam en 2011. Tout y est. À la manière d’une énumération poétique à la Prévert. La scie sauteuse, le marteau, le cutter, la pince, les clous et autre matériel de base d’un bricoleur. Sans oublier les balais et aspirateur, ainsi que des effets personnels – cache-poussière, pantoufles et jusqu’aux posters de filles dénudées placardées au mur ou à l’intérieur des armoires aux portes ici entrebâillées.

Cet endroit de création, plein de vie, très personnel se retrouve comme pétrifié par le souvenir imparfait du fils et le mode de représentation « brut de décoffrage » en bois, même s’il est hyperréaliste. On peut y entrer, regarder de près et à loisir cet univers qui évoquera pour certains des ateliers assez similaires (père ou grand-père également bricoleur). Mais l’effet le plus puissant, on l’éprouve de l’extérieur, du côte où Istvan Csakany a remplacé une paroi de la cave familiale par une vitre, transformant l’ensemble en objet d’exposition. Hors contexte de la vie quotidienne donc.

Avec le titre donné à l’œuvre, Bernsteinkammer, l’artiste fait par ailleurs référence à une pièce de la « grande histoire », reliant sa création contemporaine, individualiste et personnelle à la Chambre d’ambre, un chef d’œuvre du savoir-faire du XVIIIe siècle, quand des artisans artistes travaillaient pour les grands de ce monde. Offert par Frédéric de Prusse au tsar Pierre le Grand, un espace entièrement sculpté dans le matériau précieux qu’est l’ambre, faisait partie des trésors de l’Hermitage jusqu’à ce qu’il disparaisse mystérieusement durant la dernière Guerre mondiale.

Ici, non seulement Istvan Csakany rend hommage aux créateurs d’exception de la Chambre d’ambre, mais à travers son père, aux simples artisans du dimanche. Au Bonnefantenmuseum de Maastricht cette année également, il a imaginé une approche inverse, avec la démocratisation de l’espace muséal et de ses objets précieux investis par les occupations quotidiennes de personnes lambda.

La dimension politique certainement habite aussi le travail de l’artiste. Il joue avec les concepts de la grande et de la petite histoire, des lieux sacralisés et privés. Pour un créateur contemporain comme lui, l’histoire en général et l’histoire de l’art en particulier, linéaire, telle qu’elle fut longtemps enseignée, font désormais définitivement partie du passé. Seule la nostalgie, semble-t-il, reste un facteur immuable, en tout cas en tant que dénominateur commun du ressenti humain.

L’exposition de Istvan Csakany, Bernsteinkammer, est à voir jusqu’au 1er février 2015 au Mudam ; 3, Parc Trois Glands, Luxembourg-Kirchberg ; ouvert de 11 à 20 heures ; du mercredi au vendredi, de 11 à 18 heures du samedi au lundi ; fermé le mardi ; www.mudam.lu.
Marianne Brausch
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