La Fondation Cartier pour l’art contemporain à Paris accueille jusqu’à ce dimanche, 16 mars 2025 inclus, une sublime rétrospective dédiée à Olga de Amaral, figure majeure de l’art contemporain colombien et pionnière du Fiber Art. À travers ses tissages sculpturaux, Olga de Amaral interroge notre rapport à la mémoire, à la matérialité et à la lumière, elle offre une œuvre qui dépasse complètement les limites du temps et des disciplines.
Cette exposition de grande envergure rassemble 80 œuvres créées entre les années soixante et 2024, dont certaines sont montrées pour la première fois en dehors de la Colombie dont est originaire l’artiste. À travers cette présentation remarquable, la Fondation Cartier a véritablement mis en lumière l’important parcours d’une artiste qui a su réinventer l’art textile en l’amenant au croisement de la peinture, de la sculpture ainsi que de l’architecture tout en s’appuyant sur un savoir-faire, un artisanat ancestral. Il s’agit d’un parcours entre modernisme et artisanat traditionnel.
Née en 1932 à Bogotá, Olga de Amaral fait d’abord des études d’architecture, une discipline qui influencera plus tard sa vision de l’espace ainsi que des volumes. Très tôt, elle est attirée par les matériaux, les textures et les structures tridimensionnelles. C’est aux États-Unis, à l’Académie de Cranbrook dans le Michigan, qu’elle découvre véritablement l’art du tissage sous la direction de Marianne Strengell, finno-américaine et figure emblématique du design textile moderniste, notamment pour les textiles automobiles. Cette rencontre marquera un vrai tournant dans l’approche artistique de de Amaral, mêlant les principes du modernisme occidental à l’héritage ancestral des cultures précolombiennes. Ces cultures et leur sacralité particulière se retrouvent dans chacune des œuvres exposées à la Fondation Cartier, notamment au sous-sol. C’est à se demander par moment si certains des tissages accomplis sont des découvertes archéologiques. Au plus tard, lorsque l’on considère les matières utilisées, notamment des lanières délicates en polyéthylène, on sait qu’il s’agit d’art contemporain.
Dès son retour en Colombie, après ses études aux États-Unis, Olga de Amaral s’engage dans une exploration du textile, en faisant muer le tissage en un médium sculptural et à la fois pictural. Ses œuvres ne se contentent pas d’être des matières à tisser – elles deviennent des surfaces organiques, des paysages lumineux et sensoriels qui entrent en dialogue avec tout ce qui les entoure, l’espace et la corporalité des visiteurs – je dirais qu’il s’agit presque d’une alchimie entre les matériaux, l’espace et la lumière. Les visiteurs se retrouvent face au précieux et face au mystérieux.
L’un des aspects les plus fascinants du travail d’Olga de Amaral réside dans son expérimentation des matières. Utilisant des matériaux variés tels que le lin, le coton, le crin de cheval, le gesso, le plastique ainsi que la feuille d’or, elle joue avec toutes les textures et leurs reflets pour donner à ses œuvres des mouvements qui correspondent aux représentations mystiques du monde et de ses ondulations, sa rotation.
Olga de Amaral utilise des feuilles d’or et d’argent en les appliquent dans ses tissages, ce qui est un procédé qui offre à ses créations une qualité sacrée et presque spirituelle. Cette technique rappelle les traditions de l’orfèvrerie précolombienne, par exemple toutes les pratiques des cultures Muisca et Quimbaya, qui datent du VIe siècle et qui ont disparu au XVIIe siècle et qui furent célèbres pour leurs statuettes en or manipulées dans les rituels sacrés. En utilisant l’or et l’argent, Olga de Amaral ne semble pas seulement chercher à embellir ses œuvres, mais à leur donner une charge symbolique de l’existence d’une culture ancestrale essentielle et majeure pour le cours de l’Histoire civilisationnelle.
Les Estelas (étoiles), démarrées en 1996, se distinguent par leur sérialité et l’intégration des feuilles d’or, apparentée au kintsugi – technique japonaise de réparation-embellissement des céramiques. Ces œuvres telles des stèles lumineuses qui jouent avec la lumière et transforment l’espace en une constellation. Il ne s’agit pas d’objets décoratifs, elles peuvent représenter des sortes de portails vers d’autres dimensions, vers l’Histoire ou la mémoire ancestrale.
D’autres séries, comme Brumas (brumes), initiée en 2013, explorent une approche plus vaporeuse du tissage. Les motifs géométriques qui sont peints directement sur les fils de coton en superpositions créent des compositions quasi flottantes, le regard se dissout dans une composition de mouvement tout en transparence. Cette série fait appel aux souvenirs de paysages montagneux baignés de nuages, une référence aux Andes colombiennes spectaculaires de brume et de reflets lumineux.
L’œuvre d’Olga de Amaral s’inscrit dans un contexte plus large, celui de l’évolution de l’art en Colombie au cours du vingtième siècle. Longtemps inspirée et représentée par l’art figuratif des muralistes mexicains, la scène artistique colombienne se réinvente à partir des années 1950. Il s’agit d’une revendication de l’abstraction et des expérimentations plastiques. Olga de Amaral fait partie de cette génération d’artistes colombiens qui, à l’instar de Fernando Botero ou de encore Edgar Negret, ont créé les liens entre les influences internationales et les traditions locales. Elle fait partie du mouvement « Los Once » ce groupe d’artistes qui, dans les années 1950-60, défend l’abstraction radicale contre l’académisme. Ce qui distingue cependant son travail, c’est le travail artisanal du textile. Elle conserve la matérialité des tissus ainsi que les liens avec les savoir-faire traditionnels et ancestraux. Elle les conserve et les réinvente à la fois, les réinscrit dans une universalité et une modernité indéniable. Elle se situe à l’opposé de la polonaise Magdalena Abakanowicz, qui créait elle-aussi des sculptures tissées et nouées, œuvres monumentales formellement magistrales, mais avec la revendication directe de la liberté d’expression. De Amaral, quant à elle reste plus formelle et conserve les mystères sur le plan des messages ou des histoires racontées.
L’exposition créée à la Fondation Cartier à Paris est un moment particulier pour se déconnecter des marasmes ambiants, des échos de plus en plus anxiogènes et de s’immerger dans l’univers captivant d’Olga de Amaral. La scénographie, conçue par l’architecte Lina Ghotmeh, accompagne le visiteur dans un voyage sensoriel et intellectuel, mettant en valeur les jeux de matière et de lumière, tout en réfléchissant à ce qui demeure des cultures ancestrales qui ont façonné nos civilisations, qui ont pourtant été rejetées et souvent brutalement détruites par des envahisseurs et qui fascinent pourtant leurs descendants. .
La disposition des œuvres dans l’espace permet une immersion où le visiteur devient presque participant, invité à déambuler entre des surfaces vibrantes, lumineuses ou opaques, dialoguant en permanence avec les formes, l’universalité, l’Histoire, mais aussi la nature et le sacré. Cette rétrospective souligne non seulement l’importance d’Olga de Amaral dans l’histoire de l’art textile, mais aussi plus précisément de l’art contemporain international. Elle fait figure essentielle pour comprendre l’évolution de l’art en Colombie mais aussi dans le monde. Son travail, entre modernité et tradition, continue de se greffer dans les recherches et expérimentations des nouvelles générations d’artistes, confirmant de cette façon, la place unique qu’elle occupe dans la réalité artistique contemporaine.