« Bienvenue au paradis. Seulement trois grèves en 25 ans, c’est rassurant », se targuait Luxembourg for Business dans une annonce censée paraître en 2009 dans Le Figaro. Le Grand-Duché compte un des droits de grève les plus restrictifs de l’Union européenne. L’avant-projet de loi sur les manifestations, que Léon Gloden (CSV) fait circuler depuis le début de l’année, pourrait le réduire encore davantage. Selon la lecture qu’en font Déi Gréng, le bourgmestre devrait à l’avenir accorder son autorisation aux « piquets de grève organisés en plein air dans un lieu accessible au public ». La Chambre des salariés y voit une nouvelle « entrave » aux libertés syndicales : « En pratique, il s’est révélé que les syndicats ont l’intention de recourir au plus vite possible au droit de grève, une fois que le procès-verbal de non-conciliation a été dressé ».
Un délai d’autorisation de cinq jours s’ajouterait aux seize semaines de procédure de conciliation que les syndicats doivent d’ores et déjà parcourir avant de pouvoir lancer une grève. Si les salariés arrêtent le travail avant que la non-conciliation ait été formellement constatée, ils risquent une « absence injustifiée », la grève étant considérée comme « sauvage », donc illicite. Une restriction que la Chambre des salariés estime contraire à la convention sur la liberté syndicale que le Luxembourg a ratifiée en 1958. Dans une récente prise de position, elle appelle à briser le lien, actuellement « indissociable », entre droit de grève et négociations collectives. (Les cheminots ont plus de chance, leur droit de grève n’est pas réglementé, un projet de loi traînant depuis 39 ans um Instanzewee.)
La nouvelle Constitution évoque le droit de grève de manière laconique : « La loi organise l’exercice du droit de grève ». Dans Aux origines du droit du travail, le juriste Jean-Luc Putz estime que cette formulation constitue une régression : « Le droit de grève est affaibli, vu qu’il n’est plus ‘garanti’, mais uniquement ‘organisé’. La loi est ainsi habilitée et même invitée à prévoir des restrictions. » Sur la grève générale, cette dernière conserve un silence pudique. L’interprétation juridique majoritaire la considère comme illégale, suivant une jurisprudence de la Cour de cassation datant de 1952. À l’époque, le procureur d’État estimait que « la grève politique a un caractère révolutionnaire [...], on ne fait pas la grève contre la loi ». Sa dernière occurrence remonte à 1982 : « Le Grand-Duché a connu sa première grève générale depuis 1942 », titrait alors Le Monde. Dans ses statuts, l’OGBL en prévoit pourtant le recours « dans certains cas spécifiques » pour atteindre « les objectifs sociaux ou sociopolitiques » du syndicat.
La question du droit de grève n’est plus simplement théorique. Depuis 2018, le Luxembourg a connu trois grèves qui ont révélé les lacunes et les limites du cadre actuel. Ce sont surtout les 25 jours de piquet devant l’usine d’Ampacet (novembre-décembre 2023) qui ont constitué un stress-test pour l’OGBL. Contrairement aux grèves dans les maisons de soins (juin 2018) ou chez Cargolux (septembre 2023), le rapport de forces n’était pas médié par la politique, mais s’établissait immédiatement devant l’usine. La tension était palpable, les nerfs à vif. Au tribunal de référé, la direction d’Ampacet avait obtenu l’expulsion des grévistes de son terrain. Ceux-ci se rangeaient sur le trottoir, laissant passer les camions des fournisseurs. La Police était de passage quotidiennement. « Streikrecht ass tipptopp », disait un policier aux syndicalistes durant les premiers jours de la grève. Et de rappeler poliment les règles du jeu : « Ils n’ont pas le droit de faire appel à des intérims ; vous n’avez pas le droit de bloquer la voie publique. » Le 21 décembre 2023, l’OGBL signait un accord, proclamant prématurément la « victoire ». Deux semaines et demie plus tard, six des quarante grévistes étaient licenciés par la direction « pour raison économique ».
Le récent coup d’éclat au Comité permanent du travail et de l’emploi (CPTE) a fait couler beaucoup d’encre. Pour l’OGBL et le LCGB, la sauvegarde de leur monopole sur les négociations collectives est un enjeu vital. Mais leur note sur « l’avant-projet du plan d’action national » du ministre Georges Mischo aborde également la question du droit de grève, jugé trop « restrictif ». Les syndicats sentent qu’ouvrir ce dossier risquera d’être périlleux. Ils avancent prudemment : On pourrait introduire la possibilité de « grèves d’avertissement », et ceci durant les négociations collectives. (En 2011, l’OGBL en avait organisé une chez ArcelorMittal.) Les syndicats proposent des contreparties : Ils se disent d’accord à donner un préavis de 48 heures et à fixer en amont la durée. Le 8 octobre 2024, lors de la désormais célèbre réunion du CPTE, le ministre du Travail a opposé une fin de non-recevoir aux propositions syndicales. Celles-ci n’apporteraient « rien de concret » et seraient « superflues ».