Alors qu’il a grandi dans une famille de vignerons, Paul Wesner s’est détourné du vin pour la bière. Depuis 2017 la Echternacher Brauerei brasse dans l’ancienne gare de Bech

De la gare à la brasserie

d'Lëtzebuerger Land vom 18.12.2020

Au milieu du XIXe siècle, Echternach, ville abbatiale, comptait plus de trente brasseries. La dernière a fermé dans les années 1950. À l’époque, la plupart des brasseries suivaient le modèle bavarois et fabriquaient des bières de basse fermentation. Choisir de reprendre le flambeau en arborant ce nom – Echternacher Brauerei – n’était donc pas anodin quand Paul Wesner s’est lancé dans le métier, il y a quatre ans. Mais avant d’en faire une entreprise viable, il eut divers tâtonnements et questionnements qui passaient par une remise en question de la tradition familiale. « Je viens d’une famille de viticulteurs et mon père est co-propriétaire du Domaine Alice Hartmann. J’aidais souvent et je m’intéressais au vin. Il aurait été logique que je m’investisse dans ce secteur », rembobine-t-il. Mais, à la faveur de ses études en Autriche pour devenir pilote d’avion, Paul Wesner découvre (et apprécie) la bière. À son retour au bercail, son frère lui avait grillé la politesse au domaine viticole et il se « cherche une autre occupation ».

Nous sommes en 2012 et le travail de pilote trouve peu de débouchés. À ses heures perdues, Paul commence à fabriquer sa bière dans sa cave, « avec un résultat moyennement buvable », reconnaît-il. À force de recherches et d’essais, il parvient à des résultats plus probants et se voit encouragé par des amis qui lui commandent des fûts pour leurs fêtes. L’idée fait alors son chemin et, soutenu par sa famille, Paul Wesner décide de lancer sa brasserie. La recherche d’un local s’avère assez longue, mais en 2016, il investit l’ancienne « Charlys Gare » de Bech, un charmant bâtiment plus que centenaire qui correspond bien à l’idée de la bière traditionnelle que veut promouvoir Wesner. Après d’importants travaux de rénovation et d’aménagement, la première production sort des fûts en 2017.

Les installations comprennent une cuve de brassage où le malt est mélangé à l’eau et chauffé pendant plusieurs heures pour que l’amidon se transforme en sucre. Vient ensuite un passage dans une autre cuve pour extraire les solides, à la manière d’une passoire, avant de faire bouillir le jus avec le houblon. Le liquide est ensuite refroidi à 10 degrés avant d’être mis en cuve de fermentation avec les levures. Une deuxième fermentation apporte la carbonisation de la bière. Quelques semaines plus tard, la bière est prête à être embouteillée ou mise en fût, ce qui se fait sur place également.

À rebours de la mode des bières fortement houblonnées comme les IPA (indian pale ale), la Echternacher Brauerei produit une bière « comme il y a cent ans », dans le style traditionnel bavarois, de basse fermentation. La Hellen n’est pas filtrée et arbore donc un trouble naturel. Son goût est rafraîchissant, axé sur des notes céréalières et de pain frais. L’eau provient de la source locale alors que l’orge malté et les houblons sont produits en Bavière « où la qualité est de très haut niveau pour un bon prix ». Outre cette bière classique, produite toute l’année, trois bières de saison sont proposées, correspondant à ce qui se faisait dans le temps pour respecter les températures et le travail des levures. Ainsi la Maerzen de printemps est légère et plus ambrée, en été la Weess est une bière de blé à haute fermentation et en automne, la Fest Beier est plus forte et plus foncée. S’il n’est pas attiré par des bières parfumées, Paul Wesner n’exclut pas de produire un jour une triple « à la belge ».

Pour l’heure, les projets se concentrent sur le Moulin de Consdorf que la famille a acquis récemment et où un bistrot est déjà en place. Un hôtel de 25 chambres verra le jour d’ici trois ans, mais l’ambition de Wesner est d’y rassembler brasserie, restaurant et hôtel pour attirer non seulement les touristes, mais aussi recréer une ambiance de stuff villageoise. Avant de concrétiser ce projet, il va falloir passer outre la crise actuelle où le secteur événementiel, un des principaux débouchés de la brasserie, a été à l’arrêt. « La réglementation luxembourgeoise en matière de débits de boissons étant ce qu’elle est (avec la limitation des licences de cabaretage, et l’exclusivité de distribution de boissons, ndlr), il nous est très difficile de développer notre réseau de distribution », regrette-t-il. Quelques grandes surfaces, quelques restaurants, plutôt dans la région proposent les bières de la Echernacher Brauerei. La vente est également possible sur place.

Alors que, à la faveur du réchauffement climatique, la Belgique réputée pour ses bières commence à produire du vin, Luxembourg renforce de son côté son industrie brassicole. Les 700 hectolitres annuels produits à Bech sont une goutte dans le jardin des grands brasseurs locaux ou mondiaux, mais les microbrasseries espèrent pouvoir enfin être distribuées « normalement, comme c’est possible dans tous les pays européens », conclut Paul Wesner.

France Clarinval
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