Fundamental Monodrama Festival

Le refus, acte radical

d'Lëtzebuerger Land vom 29.06.2012

Mercredi 27 juin, 11 heures : Tommy Zeuggin, danseur de profession, arrive devant le Kiosk de la place Bruxelles, l’ouvre avec sa clé, monte dans le petit bâtiment, s’installe sur le sable fin. Il n’a qu’une bouteille d’eau, rien d’autre. « Premier jour : J’ai arrêté de manger. Dernier repas à un snack en ville. Maintenant, je cherche un bon endroit pour mourir, » énonce une voix de femme, enregistrée. Sur cette gigantesque intersection de deux artères principales du centre-ville, le trafic quotidien continue, banalement. Des hommes d’affaires, des banquiers, des touristes, des étudiants, des familles passent devant le Kiosk. Combien d’entre eux verront que derrière les fines branches de bambou suspendues le long du kiosque, un homme attend la mort ? Combien se seront assis sur les quelques sièges de théâtre pour contempler cet acte radical qu’est le refus de participer à la frénésie ambiante au cœur de la place financière ?

Kokon – Tagebuch einer Verpuppung (« Cocon – carnet intime d’un changement en chrysalide ») est la performance la plus extraordinaire, la plus fondamentale, de l’édition 2012 du Fundamental Monodrama Festival, faisant exploser toutes les limites du théâtre, comme le temps (Tommy Zeuggin reste sept heures par jour dans le Kiosk, soit 77 heures sur les onze jours du festival !) et le lieu classique du théâtre qu’est la scène. « Moi, je préfère qualifier le projet d’installation plutôt, » précise la conceptrice de l’expérience, l’actrice suisse Linda Olsansky. Pour elle, qui travaille en indépendante depuis 2009 par choix (au Luxembourg, on a notamment pu la voir dans Dämonen de Lars Norén et dans Antigone de Sophocle, les deux fois sous la régie de Steve Karier), il était évident qu’un tel texte, qu’un projet d’une telle radicalité ne pouvait en aucun cas avoir lieu dans un lieu protégé comme une salle de théâtre, « c’eût été obscène » estime-t-elle.

Il devint donc vite évident qu’il fallait l’implanter en plein centre-ville, dans le quotidien stressant de la foule, comme un contrepoint subversif. Parce que cet homme, avec sa décision de ne plus participer à tout ça, de refuser l’accélération de la banalité, est comme une insulte – et une mise en abyme de la futilité de la bureaucratie et de notre recherche du bien-être purement matériel. Seul avec son carnet intime et un peu d’eau, sans lecture, sans MP3, sans tablette et sans rien à manger, il réduit la vie à l’essentiel. « Là-dedans, je ne fais rien, » dit Tommy Zeuggin avec un grand sourire, « strictement rien ». Kokon est une distorsion du temps et de l’espace, car si l’acteur-danseur vit l’expérience du chaud ou du froid, de la lumière ou de la pluie en temps réel, le texte, lui, résume 64 jours de ce long suicide, passant en boucle d’une demi-heure à peu près. Le public pourra ignorer le tout, capter quelques fragments de texte, ou même contempler la langueur, se laisser aller à une sorte de quête de spiritualité.

« Pour moi, il était essentiel que nous nous implantions dans la vie des gens, » insiste Linda Olsansky – faisant par ricochet un énorme pied de nez à l’institution théâtrale, poussiéreuse, auto-référentielle et hermétique à ses yeux. Un public qui, sans devoir payer et qu’il le veuille ou non, sera confronté à un commentaire artistique riche en métaphores et en allégories, qui ouvre sur une multitude d’interprétations possibles. Comme beaucoup d’artistes ont choisi de quitter les musées pour s’installer dans l’espace public, Kokon est du théâtre dans l’espace public – sans être décoratif ni purement divertissant pour autant. Chaque jour est une petite mort, chaque jour est différent. Le soir, à 18 heures, Tommy Zeuggin se relève, quitte le Kiosk, ferme à clé – et rentre.

Kokon – Tagebuch einer Verpuppung, de Linda Olsansky, avec Tommy Zeuggin ; scénographie : Diane Heirend ; une installation dans le cadre du Fundamental Monodrama Festival ; tous les jours jusqu’au 7 juillet de 11 à 18 heures dans le Kiosk de l’Aica, place de Bruxelles à Luxembourg. Programme complet du festival : www.fundamental.lu.
josée hansen
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