Le secteur horeca est visé par de nouvelles mesures dès lundi. Entre résignation et colère, les restaurateurs s’adaptent

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d'Lëtzebuerger Land du 29.10.2021

Il a revêtu une grosse veste et une écharpe parce que « quand le soir tombe, ça caille ». Devant le Paname, place de Paris, Rémy a pour mission de « covid-checker » les clients qui entrent dans le bar-restaurant. « Je note peu de refus ou de personnes qui essayent d’esquiver le scan », relate le serveur qui « propose la terrasse, avec un plaid, à ceux qui n’ont pas de certificat. Pour l’instant, ça marche, pas sûr que ça dure quand il fera plus froid. » Comme celui-ci, plusieurs restaurants et bars ont devancé l’obligation d’instaurer un contrôle pour l’accès à leur établissement qui entrera en vigueur le 1er novembre. « Nous avons mis en place le Covid-Check dès mi-octobre, comme une phase d’entraînement pour les équipes et pour mesurer les réactions et les problèmes éventuels », détaille Gabriel Boisante, à la tête de cet établissement et de quelques autres. « L’idée est aussi de pouvoir enfin retravailler comme un bar, avec des clients debout ou au comptoir, voire des gens qui dansent. » Rappelons en effet qu’une fois le contrôle passé, le nombre de personnes à table n’est plus limité et que le port du masque n’est plus obligatoire. La réponse des clients est « globalement positive », même si quelques commentaires cinglants ont été publiés sous l’annonce des contrôles sur Facebook : « Certains disent qu’ils ne viendront plus et l’un traite la mesure de dictatoriale ! »

Les clients que nous avons interrogés mardi soir semblaient ne pas faire la fine bouche. « Je me suis justement faite vaccinée pour pouvoir aller au restaurant sans y réfléchir », raconte une quadra pimpante. « Il n’y a rien de compliqué : on sort notre papier de notre sac », complète son amie en joignant le geste à la parole. « Ça fait super plaisir de voir les gens sans masque et de pouvoir passer d’une table à l’autre », s’enthousiasme un habitué des lieux. « C’est quand même peu d’atteintes à la liberté par rapport aux libertés qu’on pourra retrouver quand le taux de vaccination sera meilleur », estime ce cinquantenaire bon teint.

Christopher Rahme a lui aussi mis en place un Covid-Check à l’entrée de ses établissement (Skybar, L’Avenue, Café des Capucins) « depuis un mois ». Il y voit un dispositif qui « rassure les clients, surtout les plus âgés » et constate qu’il « y a de moins en moins de personnes qui doivent faire un test rapide... sauf cette semaine où les non-vaccinés profitent de pouvoir encore aller au restaurant sans devoir payer leur test. » Il nuance cependant : « On nous impose de faire des contrôles sans prendre en considération les coûts supplémentaires que ça entraîne avec une personne dédiée, des retards dans le service et de la nervosité chez les clients. » Il considère d’ailleurs que « ce n’est pas aux restaurants de trouver une solution à la pandémie ou au faible taux de vaccination. Ni aux restaurateurs de faire pression sur la population non vaccinée ». Il pense même que c’est peine perdue : « Ceux que ne sont pas vaccinés jusqu’ici, n’iront toujours pas le faire : ils ne viendront tout simplement plus au restaurant. » Remi Manso, dirigeant d’un groupe de onze restaurants, notamment au Kirchberg, craint une baisse de fréquentation en novembre après une certaine embellie actuelle « où les gens profitent avant qu’ils le ne puissent plus. » Il suppose que « les repas de fin d’année des entreprises vont aussi être impactés car, les groupes ne voudront pas stigmatiser des collègues non-vaccinés et renonceront à leurs dîners ».

Au Um Plateau, Stéphanie Jauquet, se satisfait d’avoir « pu enlever les plexiglas entre les tables et de voir les clients sans masques » depuis qu’elle fait vérifier les QR codes à l’entrée, mais elle est très remontée contre la suppression des autotests effectués sur place : « Presque tous mes clients ont un certificat en ordre, mais ce n’est pas forcément le cas du personnel, à qui je demande des autotests réguliers et le port du masque. Quand ces tests ne seront plus officiellement acceptés, je les poursuivrai pour plus de sécurité, mais ce n’est pas à moi de faire la police auprès de mes salariés pour vérifier leur statut vaccinal. » Elle fustige une forme de discrimination : « En dehors de la restauration, c’est au chef d’entreprise de décider s’il adopte le Covid-Check ou pas pour ses employés. Ici, on nous impose cette responsabilité. Je ne suis personne pour les obliger à se faire vacciner. »

En coulisse, il se dit que les autotests que ce soit sur le personnel ou sur les clients n’étaient pas toujours pratiqués correctement et que c’est pour cela que les seuls tests antigéniques rapides certifiés par des professionnels de santé seront acceptés à partir du 1er novembre. Luxembourg était aussi un des rares pays à les proposer à l’entrée des établissements. Parce qu’il emploie 300 personnes, Remi Manso a trouvé une manière de satisfaire aux exigences de la nouvelle loi : il a embauché une infirmière pour tester son personnel. « Aux employés qui ne veulent pas se faire vacciner, je dis que, moi je l’ai fait malgré mes réticences et que la vie est plus facile avec. Mais je ne veux pas leur mettre la pression. C’est déjà tellement difficile de trouver et garder du personnel. » Séverin Laface, le patron de Come à la maison et de ses déclinaisons a mis en place un protocole stricte : « Chaque établissement aura un classeur avec les certificats de vaccination des employés et un espace dédié aux tests certifiés à faire tous les deux jours pour les salariés non vaccinés. Ce sont eux qui vont payer leurs tests, mais je fais venir une personne certifiée pour les effectuer ».

« On nous refile la patate chaude, sans le mode d’emploi. Il reste des incertitudes et beaucoup de choses à clarifier quant aux questions de personnel », regrette François Koepp, secrétaire général de la Fédération Horesca vis-à-vis du Land. Ainsi, le texte de loi stipule que « les clients et l’ensemble du personnel de l’établissement concerné sont soumis au régime Covid check », mais n’est pas clair sur le personnel qui n’est pas en contact direct avec les clients : « J’attends des réponses du côté du ministère de la Santé : les pâtissiers et traiteurs n’auraient pas l’obligation de présenter un certificat, mais les cuisiniers l’ont. C’est deux poids, deux mesures. » Même constat dans le domaine de la vente à emporter, qui n’est pas soumis au Covid-Check obligatoire : « Dans les boutiques Cocottes, le personnel aux comptoirs et les clients qui achètent à emporter ne doivent pas avoir de certificat alors que ceux qui servent et ceux qui s’asseyent à table doivent être contrôlés », s’étrangle la patronne Stéphanie Jauquet.

La question est aussi de savoir ce qu’il advient du personnel qui se voit refuser l’accès à l’établissement : « doivent-ils se mettre en congé, en congé sans solde, être licenciés ? », s’interroge François Koepp en citant plusieurs avis contradictoires qu’il a reçus de différents avocats. « J’ai bien peur de voir certains se mettre en maladie pour ne pas devoir se faire tester et payer leur test », suppose Gabriel Boisante qui estime qu’au moins un quart de son staff n’est pas vacciné : « ce sont surtout des jeunes, la classe d’âge la moins couverte vaccinalement pour l’instant ». Il voit aussi dans ces mesures un frein à l’embauche : « des personnes qui pourraient travailler vont préférer rester au chômage pour ne pas avoir à être vaccinées. »

Le problème du coût des tests certifiés est sur toutes les lèvres. À 25 euros le test à faire tous les deux jours, le budget des salariés va en prendre un coup alors qu’ils sont déjà peu payés. D’ailleurs la validité des bons pour des tests PCR gratuits pour ceux qui ont reçu une première dose de vaccins à été allongée jusqu’au 10 novembre (les personnes ne pouvant pas être vaccinées pour raison médicale continueront à recevoir ces bons).

Reste à savoir si cette mesure va être efficace au niveau de la circulation du virus, mais aussi de la couverture vaccinale. En généralisant l’utilisation du Covid-Check, les autorités espèrent booster la vaccination, qui plafonne à 75 pour cent au Luxembourg. En France, où la généralisation du pass sanitaire dès le mois d’août avait fait grand bruit, le dispositif a permis de rattraper le retard vaccinal. La ministre wallonne de la Santé, Christie Morreale annonçait (dans La Libre Belgique) « quatre fois plus de personnes s’inscrivent à la vaccination depuis l’annonce du Covid Safe Ticket ». Ce mercredi matin, la ministre luxembourgeoise de la Santé, faisait le même constat lors d’une conférence de presse : Dans la semaine qui a suivi l’annonce de nouvelles mesures, le nombre de premières vaccinations est passé de 2 000 à 3 000 et la semaine dernière, plus de 5 000 personnes ont été vaccinées. « Je crains surtout qu’il y ait de plus en plus de faux certificats, ou plutôt de personnes qui utilisent le certificat d’autres personnes », suppose Chrisopher Rahme en indiquant ne pas avoir l’autorité pour contrôler les pièces d’identité de ses clients. « C’est à l’État, avec la Police de mettre en place des contrôles, il faut arrêter de faire peser la responsabilité sur les restaurateurs. »

France Clarinval
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