Farcis de bon goût

Photo: Sven Becker
d'Lëtzebuerger Land du 21.03.2025

Tortellini, agnolotti, bouchons, pierogi, gyoza, ravioles, momo, xiolongbao, khinkali, manti, jiaozi, wonton, knepple, knödel… L’inventaire est infini, la diversité incommensurable, la définition malaisée. Par commodité, utilisons le terme générique (et commun en français) de ravioli. Un nom forcément au pluriel pour un met singulier.

Dans son ouvrage Raviolivre. Le tour du monde d’un fou de raviolis. Routes, recettes et tours de main (Kéribus, 2024), le journaliste Emmanuel Guillemain d’Echon tente une définition du ravioli pour circonscrire sa quête : des pâtes farcies se tenant par elles-mêmes, de petite taille, cuites essentiellement à l’eau, vapeur ou bouillies. Il ajoute que la pâte et la farce doivent cuire en même temps, il ne peut s’agir d’un assemblage après coup. « Exit donc tout ce qui s’emballe dans une feuille : zongzi chinois et malaisiens, tamales mexicains, binaki philippins…Exit aussi tout ce qui est frit dans l’huile ou se cuit au four. » L’auteur du livre a parcouru seize pays pour découvrir les secrets de ces petites bouchées. Il a passé plusieurs années à la rencontre des individus ordinaires – pas des chefs et des restaurants –, convaincu que ce savoir-faire se niche au cœur des mains chaleureuses des mères et des grands-mères, seules véritables détentrices de la puissance des pâtes farcies. Elles cuisinent les raviolis en famille ou en groupes informels, en suivant leurs recettes, leurs traditions, leurs façons de faire.

Car peu de spécialités culinaires sont à ce point diffusées dans le monde entier en revêtant, d’un pays à l’autre, d’une culture à l’autre, des habits aussi spécifiques. La pâte est de farine de blé, de riz, de sarrasin ou d’igname. On prépare généralement la farce avec des ingrédients du quotidien : de la viande ou plus rarement du poisson quand la chair animale est autorisée, de la pomme de terre, des herbes et des épices, du fromage, divers légumes, parfois de la noix de coco, des cerises ou d’autres fruits. Les formes sont aussi variées que les noms : En demi-lune, en berlingots, arrondis, en triangle, en carrés, en boules, fermés avec des plis ou des tresses, dodus ou plats…

En Italie, Emmanuel Guillemain d’Echon participe à une réunion d’anciens ouvriers (toujours communistes) où le lambusco rougit le bouillon des cappelletti. En Autriche, il marchande, contre une assiette de Knödel, de participer aux travaux de la maison. Au Québec, il est invité à partager un repas de Noël avec une famille où l’on cuisine les «plottes à ma grand-mère», qui déclenchent l’hilarité de tout le monde (car plotte est aussi un terme argotique pour le sexe féminin). Nouvel An aussi en Chine sous le signe du cochon avec force de jiaozi, alors qu’en Inde, c’est l’éléphant Ganesh qui reçoit les offrandes de modak.

Impossible de savoir lequel de ces raviolis est né en premier, mais les voies des explorations, des colonisations, des commerçants ou des missionnaires ont forcément trimballé des recettes des tours de mains. Pourtant n’allez pas dire à un Polonais que son pierogi ressemble au pelmeni russe ou au vareniki ukrainien, et ne pensez pas que les agnolotti, cappelletti, tortellini ou fagottini sont équivalents. On compte une bonne trentaine de variétés de « pasta ripiena » rien qu’en Italie. Des chercheurs des universités de Padoue et de Salzbourg ont uni leurs forces pour tenter de classer les raviolis et comprendre ainsi leur filiation. Il s’agit de la forme et de la taille des pâtes, mais aussi du pliage. Rien que pour ce critère, neuf catégories ont été définies, de « simplement pliées et pressées avec le pouce » à « enroulées autour du doigt ». Une distinction a été faite selon l’ingrédient principal de la farce et que des produits laitiers étaient présents ou non. En ce qui concerne la préparation, une différenciation a été établie entre les pâtes cuites, frites, grillées ou à la vapeur, et il a été tenu compte du fait que les pâtes étaient servies dans une soupe ou une sauce et avec du beurre ou de l’huile.

Dans cette versatilité, une constante cependant : On ne prépare pas les raviolis tout seul dans le secret de la cuisine. La fabrication des raviolis est une activité qui revêt une dimension sociale et culturelle. C’est un moment qui rassemble les proches pour célébrer des événements importants. Autour du plan de travail, on retrace des histoires de famille, on prend des nouvelles des voisins, on plaisante ou on badine : On crée du lien et des souvenirs. Le ravioli devient une bouchée universelle symbole de partage et de transmission. p

France Clarinval
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