Varoufakis on tour

Le message de Varoufakis

d'Lëtzebuerger Land vom 09.10.2015

Berlin Cette livraison du Carnet grec vient de Berlin où Yanis Varoufakis, l’ancien ministre de Finances grec, est passé lors de son European Tour. La soirée était organisée à la très symbolique Volksbühne, le théâtre berlinois qui aujourd’hui trône place Rosa Luxemburg.

La (mise en) scène européenne Le fait que la conférence ait eu lieu dans un théâtre (et dans ce théâtre en particulier) n’est pas tellement un hasard, car si le message de Varoufakis devait se résumer en quelques mots, c’est bien ce que l’on dirait : le théâtre que jouent les dirigeants européens – comprendre : leur incapacité à gérer la crise et, surtout, la subordination totale de la politique à la finance – a été démasqué pour de bon en 2015. Que fait-on maintenant ? Et la position de Varoufakis consiste à dire que, puisque l’Europe est dirigée par des entités autoritaires non élues (FMI, BCE, Eurogroupe) et que la politique nationale est, selon son expression, « kaputt », autrement dit fichue : la solution à la crise européenne ne peut émaner que des peuples européens.

« Dire que la démocratie est morte serait trop rhétorique, a-t-il rassuré son public, il faut reprendre ses outils et les utiliser autrement. Nous avons échoué avec le gouvernement Syriza précédent, mais nous sommes la preuve de la faillite de la démocratie telle que nous la connaissons, nous sommes la preuve du fonctionnement d’une Union qui a perdu ses principes humanistes fondateurs et nous – les peuples européens – avons l’autorité morale de dire ‘Non’ à tout cela ». Le public, mi allemand/mi grec allemand, et en réalité surtout berlinois intellectuel, applaudissait sans trop comprendre où mènerait exactement cette initiative, sans trop savoir s’il faut espérer et en quoi.

Eurogroupe Varoufakis a confirmé ce qu’il dit depuis 2008 : « Être responsable signifie ne pas accepter un prêt que l’on ne peut pas rembourser. L’accord de la Grèce avec ses créanciers perpétue une philosophie ‘extending and pretending’ qui ne fait aucun sens : cet accord constitue la plus grande réduction de recettes publiques de l’histoire du capitalisme, le programme le plus dur de l’histoire de l’austérité et, surtout, il n’est ni une solution économique, ni sociale : la dette ne sera jamais remboursée et la Grèce ne se relèvera jamais dans de telles conditions ».

S’il fallait identifier un point positif des derniers neuf mois européens, selon l’économiste, homme politique et star adulée (ou détestée) aussi bien par la presse que par le public, c’est bien le fait que le fonctionnement de l’Union a été dévoilé au grand public : « Le ministre des Finances d’un petit pays ne peut changer le cours d’un Eurogroupe, certes ; mais le problème de fond est qu’il ne peut prendre position non pas pour des raisons démocratiques, mais parce que ce ne sont pas les ministres des Finances européens qui décident, mais cette entité technocratique qui n’est régie par aucun traité ni par des règles de droit : l’Eurogroupe ».

Mélancolie de gauche Ce terme – utilisé par Walter Benjamin pour décrire la nostalgie qui caractérise la gauche et selon laquelle « avant c’était tellement mieux » –, couplé à l’« enthousiasme inactif de la gauche européenne » lors des négociations du gouvernement Syriza avec les créanciers de la Grèce, et, surtout, l’incapacité de la gauche européenne à réagir au « coup d’État qui a eu lieu contre la Grèce et la démocratie européenne juste après le référendum du 5 juillet », constituent, selon Varoufakis, la preuve qu’il faut changer de perspective politique en Europe.

Oligarchie « Mais, il faut être clair, a-t-il précisé à la fin, les vrais ennemis du gouvernement grec précédent n’étaient pas les Allemands : c’étaient les oligarques et l’élite grecque (et européenne), les représentants de la finance, ceux qui auraient eu quelque chose à perdre si le gouvernement atteignait ses objectifs et ne perpétuait pas l’austérité dans les conditions actuelles. Tels seront les ennemis de l’Espagne, de la France, et des autres pays lorsque leur tour viendra ». Et tel était l’objectif de cette conférence, plus que de prêcher pour un nouveau parti qui n’existe pas encore : donner matière à penser.

Sofia Eliza Bouratsis
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