Éducation nationale : en transition

Abribus

d'Lëtzebuerger Land vom 25.11.1999

Le gros de leur temps, ils le passent dans les bus. Les quelque 170 élèves du régime préparatoire du Lycée technique de Bonnevoie sont éparpillés dans deux bâtiments différents, l'un boulevard du X septembre à Luxembourg-Belair, l'autre dans l'ancienne École européenne, boulevard de la foire à Limpertsberg. Or, comme par son essence même, cet enseignement fonctionne par modules, c'est-à-dire que chaque élève suit le module de français, d'allemand ou de mathématiques qui correspond à son niveau, il faut donc changer de classe et souvent même de bâtiment entre les cours. 

La situation est d'autant plus grave qu'il s'agit justement de ceux des élèves qui ont le plus de difficultés, qui ont connu beaucoup d'échecs avant d'arriver là, et auraient certainement besoin d'être valorisés plutôt que de sentir au quotidien qu'il n'y a pas vraiment de place pour eux.

Pour le LTB, la situation risque même encore de s'aggraver pour la prochaine rentrée, comme la Ville de Luxembourg vient de résilier le bail de tous les bâtiments qui lui appartiennent ­ ils en auront besoin pour y installer l'éducation précoce ­ et le nouveau bâtiment à Bonnevoie n'est pas assez grand pour accueillir ces 169 élèves supplémentaires. À cette rentrée 1999-2000 déjà, il a fallu trouver une solution d'urgence, comme la Ville de Luxembourg résiliait le bail du bâtiment de Hollerich ­ il fut remplacé par l'annexe de Limpertberg. 

Avec la loi du 3 juin 1994 « portant création du régime préparatoire », les anciennes classes complémentaires ont été réformées et annexées à la compétence des lycées techniques, donc de l'État, notamment afin de le valoriser et d'augmenter la perméabilité des deux systèmes, de faciliter les passerelles du préparatoire vers l'enseignement technique régulier. Or, l'enseignement complémentaire ayant été du domaine des communes, il était bien sûr logé dans des bâtiments communaux. Plus de cinq ans après le vote de la loi, tous les lycées techniques crient à l'aide, passent de provisoire en provisoire, sont obligés de caser leurs élèves dans des logements de fortune. 

Dans toutes les régions, les communes risquent d'avoir besoin de leurs bâtiments. La solution incontournable risque d'être, à nouveau, la location de containers. En décembre, la ministre de l'Éducation nationale Anne Brasseur (PDL) doit voir les responables de la Ville de Luxembourg ainsi que ceux du ministère des Travaux publics afin de trouver des solutions d'urgence pour la rentrée 2000/2001.

Eugène Thill, chargé de direction responsable de l'enseignement préparatoire du LTB, pourtant aurait une solution : « J'aimerais que tout notre régime préparatoire puisse être regroupé dans le nouveau lycée du Geesseknäppchen » affirme-t-il. Selon la politique du ministère de l'Éducation nationale « il sera veillé à ce que, dans la mesure du possible, chaque établissement offre un cycle inférieur complet de l'enseignement secondaire tant classique que technique et préparatoire » (accord de coalition PCS/PDL, août 1999). 

Or, selon Eugène Thill, le ministère estime que 200 élèves de leur préparatoire, ce serait trop, « ils ont peur que cela ruine la renommée de leur nouveau lycée » spécule-t-il. Pourtant, le diviser, ce serait anéantir le système du modulaire à sa base, il faut une certaine masse critique pour faire fonctionner neuf niveaux de chaque langue et treize niveaux de mathématiques en parallèle. 

« Pour les élèves du régime préparatoire, l'intégration géographique dans l'enseignement secondaire technique est essentielle, » affirme, à son tour, Edy Kirsch du syndicat SEW-OGB-L. « Ce qu'il nous faudrait, ce serait un véritable plan d'action pour le régime préparatoire. » Et de constater que, à force de transférer les élèves de container en bâtiment vétuste et retour, les enseignants commencent à perdre la motivation qui s'était fait sentir directement après le vote de la loi. Pour le SEW, il est incompréhensible que les subventions pour les écoles privées augmentent alors  que ce qui devrait constituer la base même de l'école publique, l'intégration des plus faibles, doit fonctionner avec des bouts de ficelle. 

Il est vrai que la très grande majorité des 2 011 élèves inscrits cette année (1 884 en 1997/98 ; 1827 en 1998/99, soit quelque quinze pour cent de tout l'enseignement secondaire) dans les neuf lycées techniques du pays qui offrent un régime préparatoire viennent de situations sociales souvent très difficiles. L'année dernière, 63,3 pour cent des élèves du préparatoire étaient des non-Luxembourgeois, un pourcentage qui risque d'être encore plus élevé cette année, vu l'arrivée massive d'enfants de réfugiés.

Les parents des lycéens du préparatoire ne s'intéressent guère à leur carrière scolaire, ils ne sont surtout pas du tout organisés en lobbies ou autres associations de parents d'élèves, donc les besoins des jeunes passent inaperçus. À tel point que le gouvernement a complètement oublié de mentionner le régime préparatoire dans le programme de coalition. La ministre de l'Éducation nationale Anne Brasseur (PDL), consciente de cet oubli, se dit néanmoins très concernée par les difficultés des élèves du préparatoire et veut y remédier. Elle aura un premier échange de vue avec les membres de la nouvelle commission de l'Éducation nationale de la Chambre des députés jeudi prochain. Elle y rencontrera au moins un membre compétent en la matière : Fred Sunnen, le nouveau député PCS, fut anciennement directeur du LTB.

Pour son successeur Jean-Pierre Juttel, un des problèmes qui subsistent est par exemple le recrutement d'enseignants. Il est extrêmement difficile de motiver les jeunes instituteurs et institutrices de choisir l'enseignement préparatoire alors qu'ils veulent souvent travailler avec des enfants d'une classe d'âge bien définie. Les mêmes réticences persistent chez les enseignants du secondaire. Selon Edy Kirsch (SEW), le législateur aurait simplement manqué d'inscrire des conditions attractives dans la loi. Donc la multiplication des carrières et de statuts d'enseignants continue. Actuellement, à peu près la moitié des enseignants du préparatoire sont des chargés de cours et des chargés d'éducation. Pour combler leurs lacunes en pédagogie, le ministère offre depuis deux ans une formation spécifique, qui doit permettre d'acquérir au moins un minimum de bagage pédagogique et psychologique. « Puis nous leur aidons beaucoup, raconte Eugène Thill. Car il faut d'abord apprendre toute la philosophie de cet enseignement, qui, au lieu de sanctionner l'échec vise à encourager les succès, les points forts de chaque élève. Il faut apprendre à faire une marque positive derrière une phrase correcte au lieu de n'indiquer que les fautes. » 

Car en ce qui concerne le volet pédagogique, Eugène Thill défend le système modulaire avec enthousiasme. Selon lui, il permet de redonner confiance aux élèves qui se trouvaient souvent en situation d'échec avant d'arriver là. Sont admissibles tous les adolescents ayant atteint l'âge de douze ans au 1er septembre de l'année en cours. Il arrive souvent qu'ils n'aient alors réussi qu'à atteindre le niveau d'une troisième ou d'une quatrième primaire. D'autres sont même carrément analphabètes. Après un test d'évaluation, les élèves sont orientés dans chaque matière vers le niveau qui correspond à leurs connaissances. Ces modules sont capitalisables et permettent à chacun d'avancer à son propre rythme. 

Le tutorat d'un groupe par un enseignant doit permettre de répondre individuellement aux problèmes et besoins de chaque élève. « La seule chose qu'ils aient tous en commun, constate Eugène Thill, c'est leur faiblesse. » Pour lui, il est essentiel que chacun soit écouté et valorisé individuellement, que les désaccords, les agressivités soient tout de suite décelés et puissent être résolus en discutant. Voilà pourquoi le LTB essaie de ne pas constituer des modules trop grands ­ la limite qu'ils se sont fixée est de quinze personnes par module. 

Jean-Pierre Juttel et Eugène Thill sont très fiers de ce qu'ils considèrent comme la réussite de leur système, l'intégration des élèves dans une neuvième technique : l'année dernière, environ un tiers des élèves ont pu passer dans une neuvième pratique ­ pour cela, il suffit de pouvoir certifier d'un niveau six au moins en langues et atteindre le niveau dix en mathématiques. Sur le plan national, la moitié des élèves réussissent une intégration soit dans le secondaire technique (44 pour cent), soit dans la vie active (six pour cent ­ chiffres pour 97/98, provenance : Menfps). Or, Anne Brasseur est sceptique, trouve que 50 pour cent de réussite ne suffisent pas, qu'il faudra d'urgence trouver une solution, un enseignement qui convienne à l'autre moitié. 

Edy Kirsch estime qu'il faudra réaliser les idées et propositions du papier d'orientation de « l'école de la deuxième chance » élaboré l'année dernière par le député socialiste René Kollwelter. Le nouveau gouvernement « entend faire des efforts particuliers afin de mettre en place une véritable offre (dans ce domaine) présentant un concept de prise en charge psychpo-pédagogique (...) » promet l'accord de coalition.

En attendant, le provisoire risque de durer. 

 

josée hansen
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