Retour à Gorée

Plus que des mots

d'Lëtzebuerger Land du 07.08.2008

Lorsque des centaines de milliers d’Africains furent déportés de leur continent pendant près de trois siècles, le seul bien et seul point de repère que l’on n’a pu leur enlever fût leur musique. Source d’espoir et de courage dans l’oppression, cette musique s’est pérennisée et développée sous la forme du gospel et du blues, pour aboutir plus tard au jazz.Le documentaire Retour à Gorée suit le musicien et compositeur sénégalais Youssou N’Dour, qui tente de retrouver ces origines musicales africaines dans le jazz de nos jours. Sa quête, qui mène la star de la musique africaine notamment aux États-Unis, mais aussi au grand-duché, lui a permis de réunir des jazzmen et des chanteurs gospel de renommée pour donner un concert sur Gorée, l’Ile sénégalaise depuis laquelle d’innombrables africains quittèrent leur continent et leurs proches pour toujours.Une quête émotionnelle que le réalisateur/scénariste suisse Pierre-Yves Borgeaud a bien su structurer. Par­tant de Gorée après avoir reçu la bénédiction et le soutien de Bouba-car Joseph Ndiaye, l’emblématique conservateur de la Maison des esclaves, Youssou N’Dour fait d’abord escale à Genève, où il retrouve son ami, le pianiste Moncef Genoud avant d’entamer la plus grande étape de son voyage, les États-Unis. Parmi les nombreuses scènes de rencontres, de répétitions et d’improvisations auxquelles donne lieu ce voyage, un des moments musicaux les plus intenses est sans doute la soirée gospel à Ant­lanta, qui met à nu à la fois l’origine tragique et l’espoir contenus dans la musique d’origine africaine. Après avoir rencontré le militant Ami­ri Baraka (anciennement connu sous le nom de LeRoy Jones) pendant sa dernière halte aux USA, à New York, le groupe de musiciens part pour le Luxembourg, malheureusement une des étapes les moins intéressantes du film. Ici, les interviews avec le trompettiste local Ernie Hammes et le guitariste autrichien Wolfgang Muth­spiel s’avèrent décevants. Les séquences tournées au grand-duché manquent d’emphase et donnent trop l’im­pression d’un compromis avec le coproducteur luxembourgeois Iris Productions.Ainsi, avec l’équipe de son projet au grand complet et enrichi en expériences musicales et humaines Youssou N’Dour retourne à Gorée pour un concert plein de symbolisme et d’émotions auxquelles le film, malgré sa durée de 110 minutes, n’accorde que trop peu de temps. Un manquement que la très bonne impression générale nous laisse pourtant facilement pardonner.Car Retour à Gorée est un documentaire qui sait prendre ses spectateurs par les sentiments à travers ses images soignées et ce langage universel qu’est la musique. « La vérité n’est pas dans les paroles que je peux bien prononcer, mais dans la musique elle-même ». C’est avec ces mots que Wolfgang Muthspiel résume finalement bien cette expérience unique. Sans passer par d’interminables discussions et discours historiques, ce film constitue un bel hommage aux esclaves, et en plus, a la sagesse de terminer sur une note optimiste. Primé comme meilleure documentaire au Pan African Film Festival à Los Angeles, Retour à Gorée est disponible en DVD avec des courtes interviews et la totalité du concert à Gorée (60 min.) en bonus.

 

Fränk Grotz
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