Roumanie

Détournement de fonds européens

d'Lëtzebuerger Land vom 24.11.2017

Il rêvait d’être l’homme fort de la Roumanie, mais il se retrouve devant les procureurs anti-corruption qui l’accusent d’avoir détourné 21 millions d’euros de fonds européens destinés à des projets d’infrastructure. En décembre 2016 Liviu Dragnea, âgé de 55 ans et président du Parti social-démocrate (PSD), était sur ses grands chevaux. Son parti balayait la droite avec un score de 46 pour cent. Mais le passé de Liviu Dragnea l’a rattrapé. Il rêvait de devenir Premier ministre, mais il s’est heurté à l’opposition du président de droite Klaus Iohannis. La loi roumaine interdit à un condamné au pénal d’occuper un poste de haut fonctionnaire, et Liviu Dragnea avait été condamné en avril 2016 à deux ans de prison avec sursis pour fraude électorale.

Les ennuis du chef des sociaux-démocrates sont loin d’être terminés. Le Parti social-démocrate (PSD) a aujourd’hui besoin d’être protégé. Le 13 novembre Liviu Dragnea a été convoqué au siège du Parquet national anticorruption (DNA), car il fait l’objet d’une enquête pénale. C’est également le cas de Tel Drum, la société qu’il est suspecté de diriger dans l’ombre et qui aurait détourné 21 millions d’euros de fonds européens. « Je ne suis pas coupable, a-t-il déclaré à la sortie du DNA. Il s’agit d’une attaque contre les dirigeants du Parti social-démocrate. »

C’est un refrain que les Roumains ont souvent entendu ces dernières années, depuis qu’une poignée de jeunes procureurs ont entamé leur opération « Mains propres » en politique. Des milliers de hauts fonctionnaires, ministres, députés, sénateurs et maires se sont retrouvés derrière les barreaux. Tous accusent les procureurs de faire de la police politique et Liviu Dragnea reprend cette accusation. Pourtant l’origine de l’enquête pénale qui le vise ne vient pas de la Roumanie, mais des bureaux de l’Office européen de lutte antifraude (Olaf) de Bruxelles, institution chargée de contrôler les fonds européens dans les pays membres de l’Union européenne (UE). « L’action du Parquet national anticorruption est le résultat de deux investigations menées par l’Olaf sur des projets financés par le Fonds européen de développement régional pour la construction de routes en Roumanie, lit-on dans le communiqué officiel que l’Olaf a rendu public suite à la comparution de Monsieur Dragnea. Ces investigations ont eu lieu en mai et en septembre 2016. »

Saisis par l’organisme de contrôle européen, les procureurs roumains ont fait leur propre enquête. Le DNA et l’Olaf ont tous deux affirmé que Liviu Dragnea avait mis en place « une bande criminelle organisée ». Huit autres personnes sont visées par cette enquête qui secoue l’échiquier politique. Abus de pouvoir, détournement de fonds européens, emplois fictifs, faux et usage de faux sont les principales accusations à l’encontre du chef des sociaux-démocrates. « Depuis 2001, le suspect Liviu Dragnea a mis en place un groupe criminel dont le but était de détourner les fonds publics et européens au moyen de l’évasion fiscale, du blanchiment d’argent et d’abus de pouvoir », affirme le communiqué du DNA.

Le compte à rebours semble avoir commencé pour l’homme qui rêvait d’être Premier ministre et candidat à l’élection présidentielle de 2019. Dans les coulisses du parti, nombre de sociaux-démocrates parlent de sa démission, car les aventures pénales de leur chef risquent d’affecter irrémédiablement l’image du parti. En 1996, le modeste ingénieur avait été nommé préfet de son département de Teleorman situé dans le sud de la Roumanie et réputé pour sa pauvreté. En 2002, il était nommé président du Conseil départemental de Teleorman. En 2012, il était élu député et en 2013, il avait pris les rênes du PSD. Entre-temps il s’était fait construire dans son département un petit palais qui contraste avec la pauvreté de sa région.

Mais l’enquête pénale pour détournement de fonds européens risque de lui coûter cher, car Bruxelles lui demande de restituer 21 millions d’euros partis en fumée. « Cette investigation est un bon exemple de la coopération entre l’Olaf et les autorités nationales, se félicite Nicholas Ilett, directeur de l’institution de contrôle européen. Nous espérons que les investigations menées par l’Olaf vont produire des effets dissuasifs forts. » Le message des jeunes procureurs roumains est lui aussi très ferme : ils promettent d’aller jusqu’au bout. Et l’opinion publique roumaine est de leur côté. Des milliers de Roumains ont manifesté contre les dérives d’un pouvoir qui peine à appliquer les valeurs européennes.

Mirel Bran
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