Schmol

What if?

d'Lëtzebuerger Land vom 19.08.2004

Du temps de l'ORTF, la télévision française était encore innocente et pleine de magie. Outil de propagande politique pour les uns - en 1970, Georges Pompidou la déclara «la voix de la France» - elle était aussi un magnifique outil de formation populaire. Du temps de la retransmission des premiers pas sur la lune, des émissions didactiques comme Les dossiers de l'écran, de l'époque des reportages sous-marins du commandant Cousteau ou des émissions de cinéma de Pierre Tchernia, les enfants regardaient Bonne nuit les petits avec Nounours, Nicolas et Pimprenelle, Les Shadoks, et, plus tard, L'île aux enfants avec l'inénarrable dragon orange Casimir. Et il y eut Colargol, «l'ours qui chante en fa en sol / en do dièse en mi bémol / en gilet et en faux col». Imaginé par Olga Pouchine et Albert Barillé, animé par le réalisateur Tadeuzs Wilkoz, la série de 52 épisodes fut diffusée dès 1970 et se démarqua par sa niaiserie. Et elle reste dans la mémoire collective de ceux qui ont aujourd'hui trente, quarante ans. Du temps de l'ORTF, Jako Raybaut et Sophie Langevin durent avoir été enfants aussi. Peut-être qu'ils ont regardé Colargol, peut-être que rétrospectivement, ils trouvent cet ourson naïf trop stupide. Schmol, leur troisième court-métrage commun, après Biouel et Côtes sauvages (tous les deux chez Samsa, 1996), qu'ils viennent de présenter, est une parodie de Colargol. Non, c'est plutôt la suite, le off, le hors-cadre qu'ils montrent. What if ? ? Que se serait-il passé si cet ours, dont le synopsis dit qu'il a été tellement trop heureux dans son «Bois joli» avant de devenir célèbre, mais malheureux comme ours chantant dans un cirque, si cet ours donc avait connu un autre parcours, passant par la gloire à la déchéance? Schmol est une sorte de version trash moderne de Colargol - tout aussi absurde, mais déniaisé. Il a la méchanceté des enfants qui arrachent des jambes aux araignées et coupent les vers de terre en deux pour voir si ça repousse. Imaginé par le duo Langevin/Raybaut, l'ours Schmol, qui venait tout juste de fumer ses premiers pétards et connu ses premiers émois amoureux avec une belle bergère dans sa nature intacte, se fait découvrir par un producteur de télévision sans scrupules - ce qu'on reconnaît bien sûr tout de suite à son accent italien - parce qu'il chante «mieux que Guignol». Commence alors pour lui une formidable ascension, faite de conquête de parts de marché télévisuel, à lui les belles femmes, l'argent, la cocaïne, les interviews télévisées - dans lesquelles il débite des conneries comme toutes les stars, genre : «J'ai toujours été du côté des plus faibles...» Mais les plus perspicaces des spectateurs se doutent déjà à ce moment-là que cela ne peut pas continuer comme ça. Très vite, Schmol se ferra voler la vedette et la carrière par Pamela Anderson - la nana au maillot rouge d'Alerte à Malibu, appelée ici «la fille qui court cheveux au vent».Schmol est une farce complètement ubuesque de la vie des riches et célèbres et se moque gaiement et sans vergogne de tous ces acteurs et starlettes qui se prennent un peu trop la tête. Schmol est aussi et surtout un délire visuel, un film de décorateur et de chef op': François Dickes et Manu Demoulling ont imaginé des décors absolument délirants - l'action de vente du «miel Schmol - le miel qui colle» dans un supermarché triste à pleurer, les couloirs aseptisés du siège de la chaîne de télévision… Et Jako Raybaut a tourné des images éclatantes, d'un rouge écarlate très chaud comme le décor dans le vestiaire de Schmol, lorsqu'il est au top de sa carrière, et d'un bleu glacial dans la nuit à la gare, lorsque notre héros se perd déjà, d'une stabilité déprimante lorsqu'il noie son malheur dans un bar glauque et en mouvement à vous faire tourner la tête lors des orgies de Schmol. Jako Raybaut est aussi le scénariste de Schmol, Sophie Langevin l'ayant réalisé. Et les deux se donnent à coeur joie à un humour un peu décalé, interprétant souvent littéralement ou au premier degré des images et des locutions ou filant des métaphores à fond, qu'on avait déjà remarqué dans leurs deux précédents films. Schmol peut agacer si on se laisse irriter par ce personnage d'ours anthropomorphe lourdingue. Mais Schmol est un vrai régal esthétique, un sketch plein d'humour grinçant, décalé, qui baigne dans une incommensurable nostalgie. Comme un adieu définitif à l'enfance. D'ailleurs, ils le disent même en sous-titre : «Enterrez vos rêves d'enfants!» Ainsi, il neige dans la nuit noire durant le générique de début et de fin, la belle enseigne néon années 1950 de Schmol se décompose sous nos yeux... y a-t-il plus triste? Aujourd'hui, il n'y a même plus ni Candy, ni le Capitaine Flam, ni Goldorak à la télévision française. Décidément, tout fout le camp! 

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josée hansen
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