L'obligation d'interconnexion

Fin définitive d'un monopole

d'Lëtzebuerger Land du 20.05.1999

Après avoir été, pendant de longues années, exploité par une structure monopolistique, le secteur des télécommunications luxembourgeois est en train de s'ouvrir à la concurrence et force est de constater que la libéralisation commence à montrer ses premiers effets1.

C'est surtout grâce à l'évolution technique des réseaux et grâce à la convergence des techniques des télécommunications avec celles de l'informatique qu'il a été possible d'offrir une multiplication de nouveaux services.

En effet, pour établir une communication, trois opérations sont nécessaires2 : la distribution, la commutation et la transmission. Chacune d'elles fait appel à des techniques spécifiques.

La distribution consiste à aller chercher ou à amener le signal chez l'abonné. Elle couvre la partie du réseau qui se trouve entre le terminal de l'abonné et le premier central téléphonique.

La commutation est la fonction la plus intelligente. Elle assure l'aiguillage de la communication et le choix d'un itinéraire dans le réseau. En spécialisant et en hiérarchisant les commutateurs, on évite la solution antiéconomique qui consisterait à relier tous les abonnés deux à deux par des liaisons de point à point. La fonction de commutation s'est progressivement informatisée. Puis, un nouveau saut qualitatif a été réalisé avec le découplage entre le rythme des sources d'information et celui du réseau. Grâce à la "mise en paquets" des informations, il est possible désormais de mieux gérer les ressources du réseau en évitant qu'un circuit soit alloué de façon exclusive à une source dont le débit est irrégulier.

La troisième fonction est assurée par le réseau de la transmission. Elle correspond à la partie du réseau qui relie les commutateurs entre eux. Diverses techniques sont utilisées à cette fin: les câbles coaxiaux, les faisceaux hertziens, les satellites et la fibre optique. Dans le domaine de la transmission, l'innovation fondamentale est la numérisation qui remplace progressivement les techniques analogiques.

Après que le législateur luxembourgeois ait fourni un cadre législatif et réglementaire, le régulateur en matière de télécommunications, l'ILT, l'Institut luxembourgeois de télécommunications, s'occupe de la mise en œuvre de l'interconnexion des différents réseaux. La base juridique des règles de l'interconnexion, laquelle est également connue sous la dénomination ONP - Open Network Provision - se trouve dans la Directive n° 90/387 du 28 juin 1990. Cette directive cadre qui a été transposée en droit luxembourgeois par le biais de la loi du 21 mars 1997 sur les télécommunications et ses règlements d'application, vise à assurer l'harmonisation des conditions d'accès et d'utilisation des réseaux et services publics de télécommunications.

L'Open Network Provision constitue le concept central de la réglementation. Le concept est tenu pour complexe en raison du foisonnement de ses objectifs et de ses instruments et de la multiplication de ses domaines d'application. La directive cadre3 poursuit deux objectifs: égaliser les conditions de concurrence entre les opérateurs détenant des droits exclusifs et prestataires privés d'une part et favoriser le développement d'un marché européen des services d'autre part.

Compte tenu de l'organisation du marché des télécommunications, les risques d'infraction à la concurrence sont très élevés. Les opérateurs publics étant à la fois détenteurs de l'infrastructure et fournisseurs de services concurrentiels offerts au moyen de cette même infrastructure, ils sont en mesure d'abuser de leur position dominante.

En effet, de nombreux comportements de l'opérateur monopolistique peuvent empêcher un fournisseur privé de tirer le meilleur parti du réseau public: obstacles réglementaires (procédures d'autorisation), techniques (non définition des interfaces nécessaires à l'interconnexion au réseau public...), économiques (tarification préférentielle pour stimuler sa propre offre de services à valeur ajoutée, discrimination par les délais d'octroi d'une ligne louée...).

Dans ces conditions il était nécessaire de créer des mécanismes pour établir des passerelles entre les marchés d'amont (infrastructure) et les marchés d'aval (services). L'ONP incarne cette solution en jouant le rôle d'une passerelle qui contribue à délier l'organisation verticale du secteur.

L'ONP est donc à la fois un cadre réglementaire garantissant une concurrence loyale et un instrument de développement d'un marché européen.

Une des composantes essentielles de l'ONP est l'interconnexion des réseaux. Elle joue un rôle déterminant dans le développement du marché des services. À cet égard, la directive "ONP téléphonie vocale4" fixait les premiers éléments d'un cadre communautaire pour les accords d'interconnexion.

La notion "d'interconnexion" est par ailleurs définie à l'article 2-12 de la loi sur les télécommunications du 21 mars 1997. Il s'agit de "la liaison physique et logique entre des installations d'organismes exploitant des réseaux de télécommunications et/ou fournissant des services de télécommunications, afin de permettre aux utilisateurs d'un organisme de communiquer avec les utilisateurs d'un autre organisme, ou d'accéder aux services fournis par l''autre organisme, ou d'accéder aux services fournis par des organismes tiers"5.

L'article 25 de la loi continue en disant que: "Chaque opérateur (visé par une liste spéciale) doit permettre et faciliter l'interconnexion de son réseau avec d'autres réseaux ou services de télécommunications. Il doit répondre à toutes les demandes raisonnables d'interconnexion, y compris les demandes pour la connexion au réseau en d'autres points que les points de terminaison du réseau offerts à la majorité des utilisateurs finaux6".

Le but principal auquel veut aboutir le législateur est évidemment de pouvoir offrir au public plus de services, de meilleure qualité et surtout à meilleur prix.

À l'heure actuelle, l'ILT vient de déterminer les modalités générales de l'interconnexion ainsi que les tarifs à appliquer7.

En vue d'y parvenir, la loi a dans son article 25, prévu différents principes de base à respecter:

a) liberté contractuelle des parties concernées, exercée de manière non discriminatoire et transparente, sous la réserve que l'Institut puisse imposer, dans certaines circonstances, une obligation d'interconnexion à certains opérateurs8;

b) mise à disposition sans délai des informations et spécifications nécessaires en vue de l'interconnexion;

c) préavis d'au moins six mois pour la notification des modifications du contrat d'interconnexion;

d) détermination des tarifs d'interconnexion fondés sur des critères objectifs, transparents et orientés sur les coûts déterminés sur la base d'un système de comptabilisation approprié;

e) publication d'une liste des services d'interconnexion et des tarifs correspondants.

L'article 25 précise finalement que l'Institut peut dans certains cas limiter l'obligation d'interconnexion de certains opérateurs lorsqu'il existe des alternatives techniquement ou commercialement viables à l'interconnexion.

L'Institut jouit en l'occurrence d'un large pouvoir de contrôle en ce qui concerne les modalités d'interconnexion. Ce pouvoir va même au delà du principe de la liberté contractuelle. En effet, l'article 26 précise que les contrats conclu doivent être communiqués à l'ILT et que lorsqu'il devient indispensable, notamment en vue de garantir l'égalité de concurrence, l'Institut peut demander la modification des contrats déjà conclus. 

L'Institut n'a pas seulement une fonction de régulateur9, mais peut d'après les dispositions de la loi également être amené à jouer le rôle d'un conciliateur en cas de litiges relatifs aux conditions d'g'accès aux réseaux. Au cas où l'ILT n'aboutit pas à un accord entre parties, la voie d'un recours devant les Tribunaux de l'ordre judiciaire semble ouverte. En effet, bien que cela ne soit pas prévu par la loi de 1997, ni par les règlements d'application, la directive cadre avait requis la mise en place dans chaque État membre de recours juridictionnels et de sanctions10.

1 Six nouveaux entrants sont prêts à offrir leurs services sur le territoire du Grand-Duché; il s'agit de Codenet Bruxelles, Firstmark, Global One, Level 3 Communication, Tele 2 et World Com.

2 Le régime juridique communautaire des services de télécommunications, Annie Blandin-Obernesser, éd. Collin, 1996.

3 Directive du Conseil du 28 juin 1990 relative à l'établissement du marché intérieur des services de télécommunications par la mise en œuvre de la fourniture d'un réseau ouvert de télécommunications, n° 90/387 CEE, JOCE L192 du 27.07.1990.

4 Directive du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 1995 relative à l'application de la fourniture d'un réseau ouvert (ONP) à la téléphonie vocale, n°95/62/CE, JOCE L321 du 30.12.1995, p.6.

5 Il s'agit de tout type d'interconnexion permettant le développement d'un modèle alternatif de fourniture de services vocaux, qu'il concurrence ou non le réseau public dans un cadre national, qu'il remette en cause ou non le modèle coopératif dans un cadre international.

6 Tout fournisseur d'accès offrant des services de liaison à Internet devrait en l'occurrence également pouvoir jouir des modalités prévues par le texte de loi de 1997, ceci bien évidemment à la condition d'avoir requis une licence adéquate auprès de l'ILT!

7 Les premiers contrats d'interconnexion sont en phase de négociations.

8 Il est également prévu que ces accords puissent consentir des compensations financières si les conditions d'exploitation des opérateurs concernés sont différentes. Par conséquent, l'EPT, qui actuellement reste toujours investie d'une mission de service public, répercutera ses coûts dans une redevance d'accès. Il va de soi que ces charges supplémentaires doivent être orientées par les coûts, non discriminatoires et justifiés.

9 L'ILT doit assurer que les demandes raisonnables avec le réseau public fixe émanant d'opérateurs autorisés à fournir des services de téléphonie vocale soient satisfaits en particulier pour assurer la fourniture de services paneuropéens. Les opérateurs concernés sont les organismes établis sur le territoire national et autorisés à connecter leur réseau fixe directement à ceux d'opérateurs situés dans d'autres États. Sont visés par ailleurs les exploitants de services de téléphonie mobile publique ou privée qui se trouvent sur le même territoire.

10 Art. 16 de la Directive du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 1995 relative à l'application de la fourniture d'un réseau ouvert (ONP) à la téléphonie vocale (op.cit.).

L'auteur est avocat au Barreau de Luxembourg et membre de la Commission sur le droit d'auteur auprès du ministère de l'Économie. Il a été conseiller juridique auprès de la Société européenne des satellites entre 1996 et 1998. 

 

Thierry Reisch
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