Ce dimanche, la Philharmonie va accueillir plus de 200 musiciens et choristes amateurs, dont ceux de la Greiweldenger Musek

Bonnes notes

Foto: Sven Becker
d'Lëtzebuerger Land vom 28.03.2025

Si, il y a un an et demi, on leur avait dit qu’ils joueraient bientôt à la Philharmonie, ils ne l’auraient jamais cru. C’est pourtant précisément ce qui va se passer. Ce dimanche, 53 musiciens amateurs de la Greiweldenger Musek vont se produire pour le plus grand évènement auquel la formation n’a jamais participé.

Greiveldange est un petit village de 974 âmes situé un peu en arrière de la Moselle, qui fait partie de la commune de Stadtbredimus (1 919 habitants en tout). Entourée de coteaux de vignes, de forêts et de prairies, cette tranquille localité vibre essentiellement au rythme de la viticulture. Le bourg compte deux bâtiments d’importance : l’église, construite en 1875 et autour de laquelle s’enroulent les habitations, et la belle coopérative viticole fondée en 1929. Celle-ci a participé à la fondation de Vinsmoselle en 1966, mais a perdu depuis sa vocation puisque les vignerons n’y livrent plus de raisins depuis 2007. L’édifice abrite désormais plusieurs entreprises, dont un menuisier et un garage pour machines agricoles. La fanfare du village, créée en 1911, est une institution locale. Elle fait partie de ces associations qui cimentent réellement la cohésion sociale.

À la fin de l’année 2023, sa présidente, Stéphanie Araujo, a reçu un message de l’Inecc Luxembourg (Institut européen de chant choral) qui fera monter le cardio de la cinquantaine de musiciens qui se rassemblent tous les lundis soirs au Veräinsbau, en attendant que les travaux de la nouvelle maison des associations soient achevés. La proposition est simple : la Greiweldenger Musék est invitée à accompagner un chœur éphémère d’une centaine d’amateurs pour un concert qui aura lieu à la Philharmonie le 30 mars 2025, dans le cadre du programme Fräiräim, qui fait la part belle aux chanteurs et musiciens non professionnels de la Grande Région.

« Stéphanie m’a tout de suite appelé et ça a été un choc », sourit Mil Muller, le jeune chef d’orchestre, 28 ans, qui a rejoint la formation en 2019. « Avoir la possibilité d’aller jouer dans cette salle immense nous paraissait à la fois improbable et inespéré », ajoute celui qui est coordinateur politique au LSAP, en congé sans solde du ministère des Affaires étrangères. Rapidement, le comité de la Musék contacte ses membres et leur propose un marché qui pourrait être résumé ainsi : on y a va, mais on se prépare. « C’est une chance, mais aussi une énorme pression sur nos épaules, relève-t-il. On n’aura pas le droit de se louper, il faudra se mettre à la hauteur des lieux. » Après de brèves discussions, la fanfare décide de se retrousser les manches, bien consciente que l’opportunité ne se représentera peut-être jamais.

Au café Ailleurs

Les années précédentes, l’Inecc avait sollicité les grandes associations musicales du pays comme celles de Bonnevoie, d’Esch-sur-Alzette ou de Mondorf. Les interprètes y sont plus nombreux et ils répètent davantage qu’à Greiveldange. « Pourquoi ils nous ont choisis ? Honnêtement, je n’en sais rien… glisse Mil Muller. Peut-être parce que nous sommes une harmonie dynamique, l’une des plus jeunes du pays. » Loin de l’image que parfois avoir ce genre de formation, qui peut paraître un brin poussiéreuse, ici, la moyenne d’âge tourne en effet autour des 35 ans et son comité est à l’avenant, ce qui n’est pas courant. « J’ai déjà joué ou dirigé dans cinq ou six associations musicales et je n’ai vu ça nulle part ailleurs », confirme le chef d’orchestre. Les plus jeunes instrumentistes, Laura, Morgane et Jana sont trois saxophonistes de quinze et seize ans. Fernand, bassiste de 76 ans, est l’aîné.

La composition sociale du groupe est assez fidèle à la démographie locale. On y trouve un vigneron, une employée des domaines Vinsmoselle, un banquier, un architecte, des travailleurs communaux… On note toutefois que, par rapport à la population, la nationalité luxembourgeoise est surreprésentée. Il y a bien quelques musiciens d’origine portugaise ou allemande, mais ils sont minoritaires. La Musek reste une affaire très ancrée dans la tradition locale.

À Greiveldange et Stadtbredimus, cet enracinement est visible tout au long de l’année. La fanfare joue lors de ses galas ou des Hämmelsmarsch, elle organise à l’arrivée de l’été sa fête sur la prairie de l’écluse (celle du Picadilly)… Bref, elle anime la vie de la commune. « L’aspect associatif est bien plus important ici que dans les autres fanfares dans lesquelles j’ai participé, assure Mil Muller. On ne fait pas que répéter et jouer, il faut aussi aller donner un coup de main pour les évènements, servir à boire, s’occuper des grillades… Il y a une dimension très communautaire qui est sans doute renforcée par le fait que tous les musiciens habitent ici. »

Cette dimension très sociale est particulièrement visible le lundi soir, après la répétition hebdomadaire, où beaucoup de musiciens se retrouvent au café Ailleurs, juste à côté du Veräinsbau, pour boire un verre. La chaleur humaine est l’essence de l’association. Ce n’est pas un hasard si trois couples s’y sont récemment formés : « C’est vrai que j’y ai trouvé ma femme ! », en rigole le chef d’orchestre.

Cette convivialité évidente (pour le moins) s’est donc aussi doublée il y a quelques mois d’une motivation et d’une assiduité renforcée. Le nombre de répétitions a été doublé depuis le mois de février et elles ont parfois lieu plus loin, à Junglinster, à Oetrange et pour la première fois avec le chœur à la Philharmonie le 19 mars. « C’est incroyable d’être là, soufflait ce soir-là le trompettiste et vigneron Tom Beck en rangeant son pupitre. Je suis déjà venu plusieurs fois en tant que spectateur, mais jouer sur cette scène, c’est quand même quelque chose ! » Pour tous, l’exercice était difficile. Se caler avec les chanteurs, jouer ensemble : ça ne s’improvise pas, d’autant que la Musék n’a plus l’habitude de partager les planches avec un chœur. La chorale de Greiveldange n’est pas aussi populaire que sa fanfare. « Nous ne sommes plus qu’une poignée et nous ne chantons désormais que pour la messe du dimanche et les enterrements… », regrette une autre vigneronne, Lisa Vesque, pas mécontente de changer de registre puisqu’elle a rejoint le chœur éphémère qui rassemble aussi des associations de Contern et Käerjeng.

À la Philharmonie, ce seront en effet des musiques de film et d’un jeu vidéo (Civilization) qui seront interprétées dimanche, pendant une heure et demie. « On nous a donné ce thème et il nous convient bien, avance Mil Muller. La littérature est riche, ces musiques plaisent à un large public et cela nous permettra de proposer des styles très différents. Il y aura des ambiances un peu brutales, comme celles de Pirates de Caraïbes, mais aussi des musiques plus douces et plus faciles à jouer comme Le Roi Lion. » La sélection a été réalisée par Mil Muller et Chris Nothum, le chef d’orchestre de la Lënster Musék, qui jouera dimanche avec les Mosellans.

Musiciens chevronnés et autodidactes

Cette musique populaire a également emporté l’adhésion des membres. Le dirigeant se félicite de constater que 85 pour cent de l’ensemble est présent lors des répétitions. « Pour une Musek, c’est vraiment beaucoup. » Il est d’autant plus ravi qu’il constate que l’excitation du grand rendez-vous a tiré l’ensemble du groupe vers le haut. « Nous enregistrons nos concerts et je peux vous dire qu’entre notre Gala de Noël 2023 et celui de décembre dernier, ça n’a rien à voir. Nous avons tous vraiment tous progressé, les musiciens comme moi, d’ailleurs : je dirige mieux, je comprends mieux ce que j’ai à faire », explique-t-il.

Ce concert un peu tombé du ciel est donc une aubaine. Non pas que la Greiveldenger Musék en avait besoin pour exister, mais il lui a donné un but commun. « Cela nous motive pour être meilleurs, c’est une formidable aventure collective », se félicite Mil Muller. « Nous avons des musiciens formés au Conservatoire, comme d’autres qui sont autodidactes, ajoute-t-il. C’est un défi que de faire jouer ensemble des personnes qui n’ont pas la même éducation musicale, mais le plaisir est d’autant plus grand lorsque l’on voit que tout le monde s’implique au même niveau et est content d’être là, y compris quand le niveau d’exigence monte. »

En plus, ce voyage motive les plus jeunes. Depuis l’année dernière, une Jugendmusek a également été constituée pour les jeunes musiciens qui n’ont pas encore le niveau pour jouer avec les « grands ». Ce n’était pas forcément prévu, mais la demande a créé l’offre et treize enfants répètent aussi tous les lundis. « C’est beau de voir une telle vitalité dans un village, avance Mil Muller. Nous construisons le futur et il est déjà assuré ! »

En attendant, la Philharmonie affiche complet depuis des semaines, même les places dans les tours qui surplombent la scène ont été vendues. Les 110 musiciens et les 105 chanteurs auront donc face à eux pas loin de 2 400 spectateurs. « Forcément, ça va nous changer des fêtes de village, souffle le chef d’orchestre. Lors de notre gala de Noël, dans l’église de Greiveldange, il y avait 200 personnes et nous étions déjà très contents : il y avait même des gens debout. Là, il y aura plus de dix fois plus de monde. Incroyable ! »

Signe que l’évènement dépasse le simple cadre de l’association, la commune a même organisé un bus pour transporter les spectateurs vers le Kirchberg. Au comptoir du café de Greiveldange, c’est sûr, on parlera encore longtemps de l’expédition de la fanfare du village dans le temple luxembourgeois de la grande musique.

Erwan Nonet
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