Bagues à l’âme

d'Lëtzebuerger Land du 16.09.2022

La quarantaine va bientôt rattraper Annick Mersch. Et pourtant, parfois, le temps s’arrête pour elle. Au moins il se suspend. Là, juste au-dessus de sa tête penchée sur le pendentif auquel elle apporte la dernière touche, l’ultime éclat, le dernier polissage. « À certains moments, pour certains gestes, les minutes peuvent défiler sans que je m’en rende compte, c’est vrai. » Voilà maintenant la moitié de sa vie que cette « fille du Nord » (du Grand-Duché) se consacre à l’art patient de la joaillerie. Un artisanat qui lui a passé la bague au doigt presque par hasard. « Devenir artiste, ça je l’avais toujours voulu. Mais, adolescente, je ne savais pas trop dans quelle discipline cela pourrait se faire. » La menuiserie a ainsi longtemps eu la préférence. Finalement, de choix à tâtons en spécialisations voulues, des Arts & Métiers au Limpertsberg à l’école d’Idar-Oberstein en Allemagne (capitale des tailleurs de pierres précieuses), l’évidence a éclaté. « Mais je crois que j’avais ce métier au fond de moi et dans mes mains», se plait à raconter la créatrice.

Annick Mersch va même jusqu’à parler de « don ». Façon pour elle de résumer en un mot la magie qui s’est opérée quand son talent s’est révélé. Son cerveau et ses doigts, son imaginaire et sa méticulosité, tout était bien là pour s’épanouir dans la profession. « Pourtant, je ne suis vraiment pas une femme à bijoux », confesse-t-elle avec malice. Pas faux. À bien y regarder seule une paire de boucles d’oreilles – discrètes – fait office de parure sur elle. « Je serais ma pire cliente, je crois », sourit-elle avant de se remettre à l’ouvrage.

À Berdorf, Annick a appris le métier. Elle y a repris l’atelier de Claude qui l’avait initiée au sertissage, au brasage, au dérochage. Claude qui lui avait montré comment jouer du chalumeau ou du mandrin afin de réaliser les plus belles unions entre métal et minéral. Des gestes, des termes, un savoir-faire qu’elle aime à perpétuer à son tour. « J’apprécie autant l’étape de la réalisation que celle de la conception. Réfléchir à la forme, trouver les techniques adaptées, puis les matériaux à assembler, ensuite conduire l’outil avec justesse, trouver le bon tour de main pour aboutir à la concrétisation de la pièce : il y a peu de travail qui offre cette progression complète. » Avec au final cette satisfaction totale pour celle ou celui qui l’exerce.

Au 42, rue d’Echternach, elle partage les lieux avec une autre artiste. « Une autre humeur surtout », sourit l’intéressée en parlant de sa voisine d’atelier, Pascale Seil. La souffleuse de verre serait aussi volubile et bouillonnante d’énergie qu’Annick est quiète et force tranquille. Avec ce point commun pour les deux femmes de maîtriser la chaleur de la flamme pour donner vie à ce qui viendra décorer une pièce pour l’une, embellir une femme ou un homme pour l’autre.

Ainsi, au cœur de la petite Suisse luxembourgeoise, la joaillière conceptualise et crée au fil des heures. Au passage, quand imagination ou dextérité ne sont pas au rendez-vous, la voilà qui se plaît à enfiler inlassablement les perles ou pierres qui constitueront de futurs colliers. « C’est plus automatique ». Bracelets, pendants ou chevalières finiront rapidement par lui revenir à l’esprit. En imagination d’abord, en réalisation ensuite. Et s’il faut vraiment qu’elle se concentre sur un montage, alors l’artisane a une parade on-ne-peut plus efficace : poser un casque audio sur sa tête, monter le volume et se balancer du Metallica ou du Linkin Park entre les oreilles. « Au final, ce mur sonore va m’isoler et me permettre d’être totalement focalisée sur ce que je fais, s’amuse la créatrice orfèvre. Alors que si j’entends un air classique, je vais m’agiter... »

Pour Annick Mersch, le travail passe également par la réalisation de pièces à la demande. Un mariage, un anniversaire, un événement à célébrer lui valent souvent des commandes auxquelles elle n’aurait pu penser. À l’image de cette alliance désirée par un couple d’amoureux de la montagne. « Il fallait graver sur l’anneau la silhouette des sommets qu’ils avaient gravis et déposer le diamant sur le pic où Monsieur avait fait sa demande. » Romantique pour les fiancés, technique pour la bijoutière.

Quelquefois, reconnaît celle dont le poinçon représente un bouc, se séparer de tel pendentif ou tel anneau peut s’avérer compliqué. « Je ne sais pas pourquoi, certains bijoux conservent un peu de mon âme et les voir partir a quelque chose d’étourdissant. Mais à force, on s’y fait. » Cordon coupé après tant d’heures de gestation.

Au petit jeu des préférences, Annick Mersch admet volontiers un penchant pour deux pierres. La tourmaline d’un côté, la sélénite de l’autre. « Mais travailler cette dernière représente un véritable défi en joaillerie, elle est bien trop fragile. Juste bonne pour faire une pièce qui finira dans une vitrine de musée mais pas forcément pour être portée au quotidien. » N’empêche, c’est bien en œuvrant sur cette semi-précieuse, qu’étudiante encore, la jeune femme avait décroché un premier prix. Doigts de fée un jour, mains d’or toujours.

Patrick Jacquemot
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