Mutation de l'ancien hôpital militaire français à Trèves en lieu d'exposition

Générant de l’art

La centrale dans le brassage lettriste
d'Lëtzebuerger Land vom 24.02.2017

La présence de l’armée française à Trèves, dans telles décennies du siècle passé, le témoignage direct assure que pour le voisin luxembourgeois, avec de fortes chances, elle tenait au mess des officiers et sous-officiers du Kornmarkt. Comme la partie émergée d’un iceberg : en vérité, quelque 14 000 Français, militaires et civils, vivaient alors dans la ville allemande, plus d’un habitant sur dix. Mais le restaurant pouvait bien passer pour la signifier, mieux valait en être client que patient, ce qui aurait présupposé un accident plus ou moins grave, de l’hôpital militaire, autre point de repère.

Il eut comme nom Hôpital des Armées André Genet, l’homme avait été médecin capitaine pendant la Deuxième Guerre mondiale, tué dans les derniers mois du conflit, en Alsace, promu compagnon de la Libération. Construit de 1960 à 1963 au Petrisberg, appelé encore Belvédère, sur les hauteurs donc, au-dessus de la ville, l’hôpital fut délaissé au moment du départ des militaires français fin août 1992. Et il fut décidé de ne pas démolir le bâtiment, de l’attribuer à l’université, « im Fall des französischen Militärhospitals in Trier wurden die Räumlichkeiten von den Franzosen ‘besenrein’ übergeben, weshalb die Bettenzimmer des Hochtraktes schon wenig später in grosszügige Einzimmerappartements für Studierende überführt wurden ». Une autre organisation suivit après la réhabilitation générale, mais il fallut attendre longtemps avant qu’on ne s’aventure dans les sous-sols, les bas-fonds de Genet. En l’occurrence, sa cave à charbon et sa centrale thermique et électrique, aujourd’hui le domaine, et comme un laboratoire, des historiens de l’art de la professeure Ulrike Gehring.

Le lieu en lui-même, les deux salles ont de quoi surprendre, émerveiller. Samedi dernier, sous le coup de la mort de Jannis Kounellis, de ce grandiose artiste de l’arte povera, à voir les trous bouchés par lesquels on avait fait tomber le charbon, on était irrémédiablement poussé à imaginer à chaque carré au sol un tas noir s’élevant, avec son sommet. L’environnement voulait cet hommage imaginaire. En plus, la partie des sous-sols qui jadis servait d’entrepôt, avec les œuvres de Klaus Massem et de JeongHo Park, confronte avec la condition humaine, avec la présence même du visiteur pour le second.

Massem, sur une longueur de 61 mètres, une hauteur d’un mètre, déploie dans son dessin toutes sortes de situations de l’existence, avec de la finesse, de la force ou de la violence, dans la figuration comme dans la facture. Comme les séquences d’un film, très éclectique par rapport à l’histoire de l’art, à chacun, et le défi fait aux étudiants, d’y aller de ses propres références et réflexions. Le dessin fait place à l’image électronique, mouvante, changeante, incluant le visiteur dans Silhouette Interference, de Park, en fait deux images, l’une plus directe, plus coloriée, l’autre plus estompée, d’une belle poésie ombrée.

Le clou, comme on dit, de la visite de cet hôpital transmuté, l’attraction indéniable, c’est sa centrale thermique et électrique, sur deux étages. Et là, pour la deuxième série d’expositions, après Mischa Kuball, elle a été confiée aux artistes Detlef Hartung et Georg Trenz pour une installation lumineuse, traduction maladroite de Lichtinstallation, mais qui convient ici, tellement elle est d’une évidence éclatante, proprement époustouflante. À l’aide de vieux projecteurs, qui garantissent son alignement juste, un texte est mis sur les murs, le plafond, les sols, les colonnes, sur tout ce qui se trouve à l’intérieur de la salle. Elle s’avère de la sorte prise dans un énorme brassage lettriste. Pas n’importe quel texte, il est en latin, comme il sied à Trèves, Lorem ipsum, faux-texte toutefois (bien que tiré, mais de façon fantaisiste, de Cicéron), qui sert en imprimerie à travailler sur la mise en forme d’une page, le texte véritable, définitif, venant prendre sa place plus tard. Il est de la sorte, dans le statut même du faux-texte, dans le processus, quelque lien avec la fonction de la centrale, fournissant de l’énergie.

Il y a, à l’entrée, la vue d’ensemble, à vous couper le souffle. La salle est là, devant vous, les lambeaux de texte la coupent, lui donnent un autre rythme. Et puis vous avancez, vous la traversez, la parcourez, et les choses se mettent à bouger. Une expérience unique de l’espace, d’un espace qui en même temps se trouve accentué et perturbé dans son agencement. À voir et à vivre absolument, les visites peuvent se faire, pour le moment, jusqu’au 31 mars prochain, le jeudi entre 18.30 et 19.30 heures, un samedi sur deux entre 14 et 15 heures. Le nombre de visiteurs étant limité, la configuration du lieu l’exige, il faut s’inscrire, renseignements et inscriptions sur le site generator@uni-trier.de.

Lucien Kayser
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